N° 1242 | Le 8 janvier 2019 | par Jacques Loubet, éducateur spécialisé, psychanalyste | Espace du lecteur (accès libre)

Le cri du peuple

Thème : Pauvreté

Vous avez remarqué les gilets jaunes, sûrement. Pastoureau va avoir du boulot, quoique, les goûts et les couleurs sont comme les coups et les douleurs, ça s’écoute… Alors le jaune c’est tendance et, pendant que la plupart continuent à courir après la reconnaissance, après le pouvoir, après leur femme, certains s’arrêtent au péage et regardent la folie passer. Mais c’est ça le pouvoir, rester immobile et n’attendre personne. Je vais tenter d’élaguer un peu le temps pour voir comment chaque mouvement, chaque douleur sociale peut s’inscrire dans l’histoire. Quand quelqu’un me dit Ne me faites pas d’histoire, je suis toujours étonné par l’équivoque. Donc, je vais partir des Lumières et de Voltaire : «  La tolérance à l’heure actuelle, c’est le fourre-tout. C’est l’adhésion à une sorte de neutralité philosophique sans mener le combat intellectuel contre le fanatisme  » et aussi «  Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes et qui en conséquence est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ?  ».

On demande à Louise Michel si elle a l’intention de participer et d’emmerder longtemps les autorités avec ses velléités de liberté, en un mot si elle a conscience d’être une femme. Elle prendra six ans de placard pour cette réponse : «  Je suis toujours avec les misérables, le peuple meurt de faim. Eh bien, moi j’ai pris le drapeau noir et j’ai été dire que le peuple était sans travail et sans pain, voici mon crime.  » Je vous parlerai d’un homme comblé et aussi passionné de justice : «  Il s’est élevé contre toutes les erreurs judiciaires de l’Ancien Régime, ami des Noirs, il lutte contre l’esclavage et la traite. Ami des protestants et des Juifs, il milite pour la reconnaissance de leur citoyenneté, adversaire de la peine de mort il soutient la cause de l’abolition, il est le seul à réclamer pour les femmes l’égalité entière des droits.  » Élisabeth et Robert Badinter lui rendent hommage dans leur ouvrage Condorcet : un intellectuel en politique. Jean Jaurès dira de lui : «  il fait partie du patrimoine de la République.  » Les combats des Lumières furent menés pendant un temps, mais après il y a eu la Shoah et après avoir marché sur de la terre battue, nous avons marché sur du sable mouvant.

Entre Eros et Thanatos nous avons affaire à cette pulsion qui travaille silencieusement et vise à la destruction. Je ne sais pourquoi, mais me revient en mémoire la condition ouvrière où les patrons ôtaient leur chapeau pour saluer leurs ouvriers. Car ni Marx ni Proudhon en étayant les systèmes de pensée n’ont pu, bien que si intéressants, améliorer la condition des ouvriers. Pourtant la culture reste un moyen pour lutter contre l’oppression, elle est peut-être même la seule chose qui nous reste de sacré. On prête à Göring, bras droit de Hitler, cette pensée virile : «  Quand j’entends le mot culture je sors mon revolver.  » Y a-t-il un savoir chez chaque être humain, y compris pour les plus défavorisés ? Je suis là au péage après avoir discuté avec des hommes et des femmes comme moi qui ne gagnent pas ce qu’ils devraient. De là vient un système qui les empêche de vivre. Ces personnes ont posé un acte de résistance aujourd’hui en rapport au racisme de classe dont ils sont victimes. Face à la pieuvre néolibérale, privés de consommation donc privés d’identité, ils se sont arrêtés au péage avec leurs gilets et ont posé un regard instituant en regardant la folie passer. Leur présence se situe donc du côté de la pulsion de vie. France d’en haut, France d’en bas, la barbarie, qu’est-ce que c’est ? Il faut prendre l’argent à ceux qui déjà n’en ont pas trop et détruire le lien social. On finit dans notre pays par détester la liberté sous toute ses formes, alors à quoi bon la culture, à quoi bon les penseurs, les artistes ? Nous sommes pluriels ne l’oublions pas. Avec les gilets jaunes, l’air de rien, le vent souffle de colère, ça marque un jour nouveau, l’humanité n’est peut-être pas si détraquée. Des hommes et des femmes qui disent simplement que la métaphysique n’a jamais rempli un ventre affamé. Ils marchent à l’intérieur, on attend quelque chose au pays de Voltaire et d’Hugo, dialectique du gilet jaune.