N° 1214 | Le 5 octobre 2017 | Espace du lecteur (accès libre)

Le pari d’un CADA

En tant qu’intervenants sociaux, une de nos missions au sein du centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) du centre social d’Argonne est de proposer un accompagnement à la scolarité aux enfants et adolescents accueillis. Notre travail consiste ainsi à encourager l’implication des parents dans la scolarité de leur enfant, pour son épanouissement et sa réussite à l’école.

Au printemps 2016, nous avons ressenti le besoin de faire appel à la Ligue de l’enseignement de la Meuse, partenaire local et expert des questions scolaires et éducatives, pour mieux questionner nos pratiques et en améliorer l’efficacité. Une convention a donc été passée entre les deux institutions pour mettre en place un groupe de travail piloté par un enseignant-chercheur en sciences de l’éducation à l’Université Paris-Nanterre. Très vite, nous avons demandé à des enseignants UPE2A [Unité pédagogique pour les élèves allophones arrivants] ainsi qu’à des mères accueillies au sein du CADA de nous rejoindre. Nous ne pouvions pas travailler sur les relations école/famille/CADA sans y impliquer tous les acteurs concernés.

Au quotidien, nous constatons que les familles accueillies se sentent parfois dépassées par le suivi de la scolarité.

Les parents ont recours à des aides extérieures pour comprendre les attentes de l’école à leur égard et comptent sur les compétences de leurs enfants en français pour déchiffrer les informations quotidiennes en provenance des enseignants, de la direction ou de l’administration : «  En ce qui nous concerne, les élèves et les professeurs nous ont aidés. Nous sommes allés dans une association pour le soutien aux devoirs. Pour les réunions parents/professeurs, rapidement, mes enfants ont pu traduire ce qui était dit en réunion  », témoigne une mère.

Mais les familles ont aussi parfois besoin que nous décryptions les propositions de l’école pour ne pas qu’elles donnent leur accord sans comprendre de quoi il s’agit. En effet, trop souvent, nous constatons que les parents signent les mots et les courriers sans les comprendre. Quand il s’agit de questions matérielles ou de sorties scolaires, les conséquences pour les enfants sont minimes, mais deviennent plus graves lorsqu’elles concernent l’orientation, les choix d’option ou les sanctions disciplinaires. Or, malgré notre volonté d’éclairer les parents, notre discours sur l’école n’est pas toujours compris.

De plus, nous ne connaissons pas toujours les attentes administratives et didactiques de l’école et notre formation ne nous donne pas toujours un sentiment de légitimité pour répondre avec certitude à ces attentes. Des attentes, nous constatons que la plupart des familles en ont ! Elles s’investissent beaucoup dans la scolarité. Mais leurs efforts ne sont pas toujours perçus par l’école. Enfin, les enseignants semblent parfois en difficulté pour saisir la spécificité d’une famille en «  demande d’asile  » (allophone, ayant vécu l’exil, le déracinement, le traumatisme) et ne connaissent pas notre travail d’accompagnement (observer, décrypter, ajuster notre intervention en fonction de chacun).

Cette opacité est confirmée par les deux enseignants UPE2A du groupe de travail : «  L’institution scolaire nous demande de faire en sorte que les élèves allophones intègrent au plus vite les classes. Nous rentrons donc dans une logique de progression de travail qui ne devrait pas dépasser un an de prise en charge. Mais en fonction des profils, les délais peuvent être rallongés. Nous pouvons agir sur le côté scolaire, mais parfois les blocages se trouvent dans la sphère privée. Et bien souvent nous n’avons pas accès à ces informations. Certaines nous seraient pourtant bien utiles parfois pour un éclairage sur les problématiques que peuvent rencontrer les enfants. Mais en parler avec les familles est difficile à cause, notamment, de la barrière de la langue. Notre seul interlocuteur est alors le CADA, mais nous n’osons pas forcément leur poser des questions trop précises qui pourraient être assimilées à du voyeurisme.  »

Ainsi, nous nous sommes fixé trois objectifs : adapter aux familles les informations en provenance de l’école ; informer les enseignants sur les besoins des familles accueillies et sur les missions du CADA en matière scolaire ; réussir à nous sentir plus légitimes pour travailler en partenariat avec l’école et avec les familles sur les questions scolaires.

Nous recensons actuellement les documents à destination des familles en provenance des écoles et des collèges qui accueillent des élèves accompagnés par le CADA : liste de fournitures scolaires, demande de sortie scolaire, courrier d’absence, règlement intérieur, fiche administrative, etc. Nous avons ainsi proposé à toutes les familles volontaires de les traduire dans une langue étrangère qu’elles maîtrisent. Ce travail permet de valoriser les compétences des familles accompagnées ou non par le CADA et a pour but de faciliter le dialogue et la compréhension par les familles des attentes de l’école durant l’année scolaire 2017-2018.

De plus, nous pensons que les familles, en facilitant l’exercice du métier des enseignants, oseront plus facilement rencontrer les enseignants pour demander des informations ou dire leur mot sur l’école. L’objectif final est de réussir à créer un relais avec une ou plusieurs personnes-ressource permettant de faciliter la transmission des informations entre l’école et les familles accueillies par le CADA.

Notre deuxième axe de travail est d’informer les acteurs scolaires locaux de ce travail, de manière à les inciter à prendre en compte, encore un peu plus, les besoins et les spécificités des enfants accompagnés par le CADA et de leur famille. Des rencontres sont donc organisées avec les chefs d’établissement des collèges, les directeurs d’école, et nous sommes présents aux rencontres organisées dans le cadre du réseau d’éducation prioritaire. C’est une manière pour nous de légitimer nos actions et de faire entendre la voix du CADA et, par notre intermédiaire, celle des familles accueillies. À chaque fois nous en profitons pour leur suggérer des pistes d’action travaillées en amont par l’ensemble du groupe.

Enfin, nous ne nous autorisions que trop peu à solliciter les acteurs scolaires et à être force de propositions au moment de rencontres. Mais les échanges avec les enseignants du groupe nous ont permis de partager des difficultés communes, des objectifs et des valeurs qui aujourd’hui nous donnent plus de crédit pour nous considérer comme des interlocuteurs légitimes de l’école.

Ainsi, ce projet permet d’instituer des normes professionnelles et une culture commune d’accompagnement entre l’école et le CADA. Nous espérons être mieux reconnus, d’une part, par l’école comme membre à part entière de la communauté éducative et, d’autre part, par les familles en leur proposant un accompagnement encore plus efficace.

Benoit Dejaiffe, enseignant-chercheur au département Carrières sociales de l’Université Paris-Nanterre, coordonateur de la recherche-action.