N° 1213 | Le 21 septembre 2017 | par Jean-Philippe Plaine, éducateur spécialisé en CHRS | Espace du lecteur (accès libre)

Violence sur violences

Éducateur spécialisé depuis dix ans dans un CHRS dédié à l’accueil de femmes avec ou sans enfant à Orléans, je suis témoin, comme mes collègues, des politiques désastreuses menées par nos autorités de tutelle, Direction départementale de la Cohésion sociale et Préfecture, concernant la lutte contre les violences faites aux femmes.

L’affaire Jacqueline Sauvage – originaire du Loiret – avait pourtant réveillé quelques consciences mais ce «  tintamarre médiatique  » s’est vite assourdi pour regagner le silence feutré des administrations chargées pourtant, au niveau local, d’organiser la lutte contre ce fléau social indigne de notre société dite «  développée  ».

Le 22 juin, la Préfecture du Loiret annonçait que les deux postes d’intervenants sociaux en commissariats police gendarmerie (ISCG) n’étaient plus financés depuis le 31 décembre 2016 ! Ces deux postes n’étaient pourtant mobilisés que depuis novembre 2015. Ils étaient réclamés par les forces de l’ordre, les services de justice et les travailleurs sociaux.

Malgré un quatrième plan triennal (2016-2018) de lutte contre les violences conjugales prévoyant le développement des ISCG, la Préfecture du Loiret a préféré que les femmes victimes de violences conjugales retournent au silence, là où personne ne pourra leur venir en aide.

Et que dire de l’accueil départemental dédié aux femmes victimes de violence ? Dans le Loiret il ne fonctionne que deux jours et demi par semaine, grâce au dévouement des salariés qui s’y sont volontairement déployés et aux deux associations porteuses du dispositif.

La circulaire de la Direction générale de la Cohésion sociale du 13 avril 2012 prévoit que cet accueil de jour fonctionne cinq jours sur sept de 10 à 16 heures. Mais localement, la direction départementale du Loiret alloue des budgets au compte-goutte, insuffisant pour qu’il se conforme à la circulaire et, chaque année, sa pérennité est remise en question.

Quid encore des places d’hébergement d’urgence pour les femmes victimes de violence ? Depuis 2007, la DDCS du Loiret ne finance que dix places (5 dans le CHRS où je travaille, 5 dans un autre CHRS d’Orléans). Face aux besoins, l’équipe de mon CHRS a dû prendre l’initiative d’étendre ces places à 25 (tout le CHRS regroupé, soit 8 appartements, du T1 au T4) afin de pallier au manque de moyens alloués par le financeur.

À Gien, un CHRS (appartenant à la même association que le CHRS où je travaille) a aussi fait le choix de dédier cinq de ses places aux femmes subissant des violences au sein de leur domicile. Seulement, ces efforts consentis par notre association restent insuffisant face aux sollicitations. Ainsi, en 2016, ce sont 273 femmes et enfants qui n’ont pu trouver une mise à l’abri pour s’extraire d’un environnement violent, voire mortel. Soit, 63 % des demandes d’accueil.

Pour répondre systématiquement de façon favorable, ce sont 60 places d’accueil supplémentaires qu’il faudrait créer dans le Loiret. Ce n’est pas pour rien si, en 2016, la Région Centre Val-de-Loire se plaçait douzième sur les treize régions métropolitaines pour le nombre de place dédiées à l’accueil en urgence des femmes victimes de violence et de leurs enfants : deux fois moins de places dédiées que sur l’ensemble du territoire métropolitain !

Les travailleurs sociaux entrent dans le bal...

Chaque jour, notre ligne d’urgence reçoit des appels de partenaires nous demandant si nous pouvons accueillir telle ou telle femme et ses enfants victimes des violences de leurs bourreaux domestiques. Quotidiennement, nous devons refuser ces accueils, faute de places suffisantes et ces femmes, avec leurs enfants, se retrouvent dans des accueils de nuit – quand ils ne sont pas déjà saturés – avec retour à la rue dès 8 heures du matin, par tous les temps, sans garantie d’être ré-accueillies le soir… ou doivent retourner à leur domicile conjugal.

Le jeudi 29 juin, mis face à cette décision soudaine de la Préfecture de ne plus financer les deux postes d’ISCG, quelques collègues et moi-même décidons de tracter pour notre syndicat à l’occasion de l’assemblée générale de notre association. Les réactions des administrateurs et des invités sont alors tantôt indignées, tantôt résignées.

Ensuite, nous communiquons l’information vers la presse. Le mercredi 5 juillet, un journaliste de France Bleu Orléans souhaite faire un sujet et prend contact. J’y vais (puisque je suis aussi délégué syndical) pour y être interviewé. Le sujet est porté à l’antenne le lendemain à 8 heures D’emblée, c’est l’emballement, France 3 Région nous contacte, et viennent m’interviewer sur mon lieu de travail, lefigaro.fr relaye l’info, puis leparisien.fr et d’autres. Libération s’en mêle, un journaliste me contacte et nous convenons qu’il joigne aussi Bastien, mon tout juste ex-collègue ISCG. L’article de libé.fr paraît le vendredi 7 juillet : la Préfecture du Loiret va réinjecter des fonds pour les deux ISCG, via le Fonds interministériel de Prévention de la Délinquance, le secrétariat d’État à l’égalité femmes/hommes va mener un audit sur le Loiret concernant les dispositifs de lutte contre les violences faites aux femmes.

Enfin, le 21 juillet, c’est officiel, les ISCG reprennent leurs fonctions dans le Loiret à compter du 1er août.

Une victoire obtenue de haute lutte

Seulement, une de nos collègues, dans la région de Montargis, a jeté l’éponge. Elle n’a pas supporté que son investissement professionnel auprès d’un public si vulnérable soit si peu considéré par ceux qui ont la charge (financière et légale) de s’en préoccuper au premier chef. Notre collègue de l’Orléanais qui avait dû connaître pour quelques semaines les affres du chômage, quant à lui, revient. Soulagé de pouvoir reprendre le poste sur lequel il s’était investi.

Nous, travailleurs sociaux formés spécifiquement à l’accueil et l’accompagnement des femmes victimes de violences, continueront à œuvrer pour que ce «  fléau  » soit combattu mais, force est de constater que nous nous sentons, localement, peu soutenus par les représentants de l’État.

Sans l’alerte des syndicats, la Préfecture n’aurait pas dû revoir sa copie et les femmes victimes de violences se seraient retrouvées sans travailleur social au sein des commissariats et des gendarmeries pour être soutenues dans leurs démarches. Et heureusement que la question des violences faites aux femmes et devenu un sujet éminemment sensible, sinon, sans la «  tempête médiatique  » qui a suivi le mouvement des travailleurs sociaux, jamais le secrétariat d’État n’aurait été avisé et obligé la Préfecture du Loiret à respecter le plan triennal de lutte contre les violences faites aux femmes. Nous nous réjouissons évidemment de la reconduction des postes d’ISCG. Cependant, c’est l’ensemble du dispositif de lutte contre les violences faites aux femmes qui s’en trouve fragilisé, un maillon de ce dispositif pouvant « sauter » du jour au lendemain.