✖ TRIBUNE - Cherchez l’erreur !
France Stratégie, institution rattachée au premier ministre donc peu soupçonnable de manquer d’objectivité, vient de rendre le 17 septembre dernier, son rapport annuel sur l’efficacité du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi dressé par son « comité d’évaluation du CICE ». Ce dispositif, lancé en 2013 par le président socialiste François Hollande, avait pour ambition initiale d’accroître les marges de manœuvre financière des entreprises, en réduisant les impôts qu’elles paient. L’équation était simple : elles allaient pouvoir investir et donc créer des emplois. Le bilan 2020 confirme les précédents. Entre 2013 et 2017, le coût de l’opération s’est élevé à près de 67 milliards d’euros. Le nombre d’emplois créés ou sauvegardés s’établit dans une fourchette entre 10 000 à 200 000. Chaque emploi a donc coûté aux finances publiques environ 500 000 euros... Belle réussite qui a surtout contribué, sur la même période, à voir les dividendes des actionnaires s’accroître de 20 %. On pourrait imaginer qu’après une telle débâcle, le gouvernement décide d’en finir avec cette gabegie des finances publiques. Le Président Macron a effectivement mis un terme au crédit d’impôts du CICE au 1er janvier 2019 … pour le remplacer par une réduction pérenne de charges sociales : soit 20 milliards par an ! Comme cela ne suffisait pas, l’impôt sur la production vient lui aussi d’être supprimé, réduisant d’encore 20 milliards les ressources de l’État.
L’action sociale, ça marche !
La veille du rendu de cette évaluation, soit le mercredi 16 septembre, les députés votaient une loi permettant d’étendre l’expérimentation « Territoire zéro chômeur de longue durée » (TZCLD). Ce dispositif initié par ATD Quart Monde, rejoint par d’autres acteurs de la lutte contre l’exclusion (Emmaüs France, Le Secours catholique, Le Pacte civique, La Fédération des acteurs de la solidarité…) avait été voté à l’unanimité le 29 février 2016. Il devait être expérimenté durant cinq ans dans dix territoires pilotes. Si le vote en première lecture du 16 septembre devait être confirmé, ce dispositif serait étendu à cinquante autres territoires. De quoi s’agit-il ? L’idée est d’investir les crédits, qui auraient dû être utilisés pour payer des indemnités chômage ou des prestations sociales de type RSA à des personnes sans emploi de longue durée, pour les recruter en Contrat à durée indéterminée rémunéré au SMIC. Les entreprises à but d’emploi (EBE) chargées de mener l’opération n’ont pas de mal à trouver des activités potentielles, puisque celles-ci ne doivent pas entrer en concurrence avec des services marchands locaux. On est dans le registre du maraîchage, des services à la personne, des travaux de rénovation, du transport de personnes ou des épiceries solidaires qui n’ont pas vocation à être rentables mais peuvent offrir un vrai service d’utilité publique aux populations … Aujourd’hui, 800 personnes sont ainsi employées. Non qu’il n’y ait pas de demandes potentielles d’extension du dispositif. Mais, son expérimentation a été volontairement limitée, pour en mesurer les conséquences, avant de l’étendre. Les initiateurs du projet argumentent, en tablant sur une opération blanche : 18 000 euros versés par l’Etat par an et par poste créé, en regard des 18 000 euros d’indemnités et de prestations économisées, de manque à gagner en matière de charges sociales et impôts, de coût social du chômage en termes de santé, d’accompagnement ... De fait, un rapport Igas-IGF établit le coût à 25 000 euros par personne et par an. D’un point de vue comptable, l’évaluation est délicate. Mais, ce qui n’a pas de prix, c’est par contre le rétablissement d’une forme de dignité, de sentiment d’utilité et d’estime de soi pour ces chômeurs qui retrouvent une place dans la société.
CICE & TZCLD au banc d’essai
Quand on nous dit qu’il n’y a plus d’argent, il faut bien distinguer. Pour les retraites, les hôpitaux, le chômage, l’action sociale …, c’est le cas. On ne cesse de nous le répéter : il faut réduire la dépense publique qui accroit des déficits que les générations futures auront à rembourser. Par contre, quand il s’agit d’abreuver les caisses des entreprises, les milliards coulent à flot ! Au moins, si cette manne dispendieuse permettait de créer de l’emploi…
Mais, tout un chacun peut aisément faire le calcul.
D’un côté, il a fallu que les finances publiques consacrent sur cinq ans près de 500 000 euros pour la création ou la sauvegarde d’un seul emploi dans le secteur privé grâce au CICE. La théorie du ruissellement est vaste tromperie : non les milliards donnés aux entreprises ne retombent pas sur les salariés sous forme de réduction du chômage. D’autant que cela n’empêche pas certaines d’entre elles de licencier après avoir touché le pactole !
De l’autre, si l’on s’en tient à la vision la plus pessimiste, celle du rapport de l’IGAS, sur la même durée de cinq années, le coût par poste créé grâce aux entreprises à but d’emploi se monterait à 35 000 euros ! L’opération « Territoire zéro chômeur de longue durée » vérifie donc les intuitions de départ : personne n’est inemployable, ce n’est pas l’argent qui manque et ça n’est pas le travail qui fait défaut !
500 000 euros pour un poste de travail que rien ne garantit dans le temps contre 35 000 euros pour un emploi pérenne : cherchez l’erreur !
La comparaison entre le CICE et le TZCLD démontrent, une fois de plus, que les politiques d’action sociale, tant décriées sont infiniment plus efficaces pour combattre l’exclusion et la pauvreté que les politiques de soutien au secteur lucratif. D’après l’INSEE, en 2014, le taux de pauvreté monétaire s’établissait à 14,1 % de la population et l’intensité de la pauvreté à 20,1 %. Ces deux indicateurs s’élèveraient respectivement à 22,0 % et à 37,3 % de la population sans l’existence des transferts sociaux et fiscaux.
Pourtant, le choix qui est fait n’est pas celui de l’action sociale. Etendre de 10 à 50 le nombre de territoires à bénéficier du TZCLD semble constituer un effort surhumain. Mais c’est sans commune mesure avec le doublement des subventions accordées au secteur marchand : aux 20 milliards de réduction de cotisations sociales accordés généreusement par le Président Macon en remplacement du CICE se sont rajoutés les 20 milliards de suppression de l’impôt à la production. Il faudra don trancher entre les 150 candidatures en attente de ce dispositif, seuls cinquante d’entre eux devant être éligibles. On expliquera aux autres que la compétitivité de nos entreprises constitue la principale priorité. Assurément, ils comprendront : les dividendes des actionnaires passent avant les chômeurs de longue durée.
Jacques Trémintin