► FORUM - Le billet de La Plume Noire : une porte qui s’ouvre
François Durand, éducateur spécialisé de son état ouvre la grande porte blanche qui sépare le monde extérieur de ce monde dans lequel il se prépare à passer une journée entière. En poussant cette frontière vitrée, il ne peut s’empêcher de penser à ce qu’il laisse derrière lui. Non pas le boulevard et son cortège omniprésent de voitures et autres véhicules motorisés, ni la société des visibles qu’il ne quitte jamais à regret, mais plutôt son ancien secteur. Vingt ans en protection de l’enfance, ça laisse des traces. Comment va se jouer la relation éducative avec ce nouveau public ? Cela dit, le public, dans la relation éducative, n’est pas bien important dans la mesure où sa présence n’a généralement pas d’autre fonction que de permettre à l’éducateur de se découvrir lui-même. Face à l’autre, c’est bien face à ses propres limites qu’il se retrouve et le travail éducatif ne débute vraiment que lorsqu’il entreprend d’interroger ses propres limites, de les mettre au travail. Tant qu’il ne travaille qu’au respect des limites par l’autre, le fameux respect du cadre avec règlements intérieurs et règles de vie affichées sur les murs des établissements, l’éducateur fait œuvre de socialisation, d’intégration, d’insertion, mais certainement pas d’éducation.
« Vous me dites que vous avez fait un stage auprès d’enfants placés, un autre auprès d’enfants déficients intellectuels et là pour votre stage de dernière année vous êtes en CHRS auprès d’adultes. Quel est le point commun entre les trois ? » avait demandé, au cours d’une séance d’analyse de la pratique, François à l’étudiant qui se trouvait assis en face de lui. L’étudiant, pas plus que les autres présents dans la salle, n’avait pu ni su répondre. Mais cela ne dérangeait pas François qui considérait comme déjà intéressant qu’ils et elles puissent repartir avec la question. Oui, le public importe peu. En même temps, moi j’écris ça mais je n’en sais à peu près rien. La question posée à l’étudiant je l’ai toujours en tête et cet enfoiré de François ne veut absolument pas me donner la réponse. « Reste avec la question La Plume. Reste avec la question » me dit-il. En même temps, le voyant franchir le pas de la porte avec, dans son sac à dos, ses réflexions et ses vingt ans en protection de l’enfance, je ne peux m’empêcher de sourire. Le public importe peut-être peu mais je sais, même s’il ne me l’a pas encore dit, qu’il se demande si celui-ci, qu’il connaît depuis peu, ne va pas être plus ennuyeux que tous les gamins qui ont jalonnés sont parcours. Ses limites, c’est auprès d’eux qu’il les a éprouvées. Cécilia, adolescente à qui il a fait descendre une bonne dizaine de marches de l’escalier du home d’enfants sur le cul parce qu’elle refusait de se rendre au lycée. Antoine, sur qui il a jeté le jeu de clés du véhicule et que ce dernier n’est passé qu’à quelques centimètres de son visage. Tout ça parce que l’adolescent refusait de mettre la table, refusait de prendre sa douche, refusait de se coucher, de se lever, bref, lui aussi, il refusait. Ou encore le petit Pierre qui, par sa faute a sauté par la fenêtre, certes du premier étage, mais sauté quand même. Effectivement, ses limites, François les a plus qu’éprouvées et avant de comprendre quoi que ce soit à la relation éducative, il en avait fait des dégâts. Alors oui, moi, La Plume Noire, en charge de raconter son histoire, je sais que François se demande si ce nouveau secteur va pouvoir encore le déséquilibrer et lui en faire voir de toutes les couleurs. Il l’espère secrètement.
Allez François, pousse la porte, tu verras bien.