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Soirée riche en rebondissements au foyer.
Il est vingt-deux heures et je suis enfin seule au bureau, face à cet ordinateur qui appelle le compte rendu de cette folle journée, devant ce carnet de liaison désespérément vide qui attend d’être gribouillé sur ses cinq prochaines pages.
Ma cigarette me fait de l’œil, une petite pause serait bien méritée pour décompresser de cette soirée interminable, mais … Ce qui est fait n’est plus à faire, comme dirait l’autre, plus vite bouclé, plus vite rentrée.

Les neufs petits dorment enfin, non sans mal.
Cette soirée fut chaotique.
Seule pour gérer le quotidien, manque d’effectif oblige, les minutes ont semblées être des jours. Quand l’un hurle à la guerre pour rétablir l’ordre de passage aux douches ; que l’autre est pris de folie meurtrière pour faire justice contre le petit voleur de télécommande ; que l’autre crie famine après sa dure journée de labeur de classe élémentaire ; que l’autre décide de fuguer devant la porte d’entrée pour faire entendre sa voix contre le gaspillage alimentaire décidant d’établir un sit-in ; et que le petit dernier de quatre ans joue à la bagarre contre les fantômes imaginaires du foyer faisant voler les chaises et assiettes du salon, on se sent bien seule.
Mais, finalement, à vingt-deux heures tout le monde est dans sa chambre, les yeux se ferment et cette journée touche enfin à sa fin.
Mes doigts filent sur l’ordinateur quand des petits pas se font entendre.
Des petits pas, que dis-je, dans l’escalier j’entends comme une avalanche accompagnée de cris et de gémissements.
Petit gars de six ans vient d’être réveillé par les ronflements provenant de la chambre à côté. Ô drame, Ô désespoir, la soirée prend un nouveau tournant !
Il crie au scandale et attend que j’intervienne. J’aurais peut-être dû aller réveiller le ronfleur endormi, ça m’aurait économisé quarante-cinq minutes de crise, mais je n’aurais jamais vécu ce moment mémorable.
Face à mon inertie une crise se déclenche sans que je ne puisse rien anticiper, à l’image de cette soirée. Les feuilles volent dans le bureau, les pieds se déchainent sur le carrelage glacé, les mots se font de plus en plus agressifs.
Petitou de six ans est précautionneux avec le français, les accords sont importants. Il a bien saisi qu’on ne disait pas des chevals, ni un pestacle, aujourd’hui il démontrera tous ses talents de linguiste.
« Lâche moi !!! Encu… (il marque une pause réflexive) … lette !!! »
Très surprise et tenant à mon professionnalisme, je me canalise pour garder une posture adaptée, mais c’était sans compter la suite, un petit sourire se décroche quand même de mon visage.
« Arrête de rire, c’est pas drôle "Fils de" … (il marque une nouvelle pause réflexive, plus longue cette fois) … Heu Ingrid, si je dis "fille de" ça marche aussi ?! »
Je n’ai pu contenir un éclat de rire explosif, face à ces mots et cette moue interrogative d’un calme olympien, en opposition complète avec les quelques secondes précédentes.
Ce français discordant a fait redescendre toute la colère en lui et il est redevenu ce petit garçon de six ans curieux, à la soif d’apprendre… même de vilains mots.
Soirée riche en émotions,
Après les rires, l’épuisement,
Retour au lit tendrement,
Fin de journée révolution !