N° 787 | Le 2 mars 2006 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

L’école du soupçon. Les dérives de la lutte contre la pédophilie

Marie-Monique Robin


éd. La Découverte, 2006 (335 p. ; 20 €) | Commander ce livre

Thème : Abus sexuel

L’affaire est entendue : pendant des décennies, des enseignants ont pu se livrer sur leurs élèves à des agressions sexuelles sans avoir grand-chose à craindre ni de la justice, acquise à l’idée de l’enfant affabulateur, ni de leur hiérarchie qui se contentait de les muter. Quand, le 26 août 1997, Ségolène Royal signe une circulaire ministérielle faisant injonction, sous peine de sanction, d’aviser « immédiatement et directement » le procureur de la République face à toute révélation d’un élève, elle cherche avant tout à en finir avec la culture du silence et de l’omerta longtemps dominante dans l’Éducation nationale. Les affaires de mœurs qui ne dépassaient pas jusque-là une vingtaine par an, s’envolent à 175 dans l’année qui suit.

Enfin, pourrait-on penser, l’Education nationale fait le nécessaire pour protéger les élèves et dénoncer ceux qui les agressent. Malheureusement, ce n’est pas si simple que cela. Car 73 % de l’ensemble de ces affaires ont finalement fait l’objet d’un classement sans suite, d’un non-lieu ou d’une relaxe (contre une moyenne de 5 % de relaxe, tous délits confondus). C’est que le soupçon s’est installé, le moindre geste devenant suspect. Personne n’est plus à l’abri d’un règlement de compte ou d’une rumeur malveillante. Et certains élèves ont compris que la meilleure façon de régler son compte à un enseignant, c’est de l’accuser d’agression sexuelle.

Ce sont des centaines de mini-Outreau qui ont eu lieu aux quatre coins de la France. Marie-Monique Robin nous en fait un récit pathétique et des plus hallucinants. Les adultes victimes de ces fausses allégations, en basculant dans la catégorie infamante du pédophile, ont subi de plein fouet les dérives d’une machine judiciaire qui en est arrivée à inverser la charge de la preuve et à remplacer la présomption d’innocence par la présomption de crédibilité de la parole de l’enfant. Jack Lang, devenu ministre de l’Éducation nationale, alerté par les enseignants d’éducation physique sur qui se sont mises à pleuvoir des dizaines de plaintes plus fantaisistes les unes que les autres, signe alors une nouvelle circulaire en appelant les responsables hiérarchiques à leur capacité de discernement (mais seulement pour les professeurs de sport).

Aujourd’hui, la circulaire Royal est toujours en vigueur, le ministère ayant toujours refusé d’en dresser un bilan. Nous sommes à la croisée de deux dérives : faire repasser la protection de l’enfant au second plan derrière les droits élémentaires des professionnels ou continuer à prendre le risque de traîner des innocents dans une terrible épreuve dont tous ne sont pas sortis vivants. Le plus inquiétant, c’est que la haute administration ait pu affirmer un moment qu’il valait mieux sacrifier neuf adultes innocents que de risquer de passer à côté d’un enfant victime. La société face à la monstruosité de la pédophilie n’a pas su éviter de réagir parfois d’une manière monstrueuse. Il est temps qu’elle redresse la barre.


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