N° 766 | Le 22 septembre 2005 | Philippe Gaberan | Critiques de livres (accès libre)

Lettre à un jeune professeur

Philippe Meirieu


éd. France Inter/ESF, 2005 (96 p. ; 9,90 €) | Commander ce livre

Thème : École

Insulté à la Une du journal Le Monde par Alain Finkelkraut, qui l’a traité de « chef de file des gardes rouges de la cuculture préparant les génocides du XXIe siècle », adulé ou bien haï au point d’être trahi par ceux-là mêmes qui peu de temps avant étaient ses amis, bafoué dans sa vie privée autant que professionnelle sans pour autant jamais accepter la place du martyr, Philippe Meirieu pourrait jeter l’éponge au terme d’un glorieux combat en faveur de l’école et du projet démocratique qu’elle est censée porter.

Pourtant, par le biais de cette Lettre à un jeune professeur, il revient à la charge. Sans doute parce que, blessé mais non résigné (ne nous confiait-il pas, il y a peu, et sur un ton mi-sérieux et mi-rigolard, qu’il allait demander l’asile politique en Espagne), il lui reste un geste à accomplir : passer le témoin à la jeune génération de professeurs qui arrive sur le « marché de l’emploi » et lui transmettre ce qui, malgré les mille raisons de se décourager, fait que le professeur « c’est quelqu’un ! » (p. 18). Dès lors, le mot de « transmission » qui revient quasiment à toutes les pages, impulse sans aucun doute l’idée-force de cet ouvrage. Qui, en effet, n’aurait pas encore compris que pour atteindre cette « fin de l’homme » souhaitée par Francis Fukuyama et les néolibéraux de droite comme de gauche, il faille absolument détruire le lien de transmission qui relie une génération à une autre ?

De la tolérance zéro aux manipulations génétiques en passant par la crétinisation de masse véhiculée par certains médias, c’est aux notions d’héritage et de mémoire auxquelles s’attaquent les nouveaux nostalgiques de l’ordre total. Or, c’est bien parce qu’ils se situent « d’emblée dans un projet de transmission » (p.10) que tous les professeurs, et quel que soit leur niveau d’enseignement, sont unis entre eux par la même promesse « d’éveiller l’humanité en l’homme » (p. 13).

En refusant aux gestionnaires le droit de dire seul ce que enseigner veut dire (p. 31), en faisant du projet un outil qui permet d’engrener le désir d’apprendre sur la volonté de transmettre (p. 33), cette lettre fait du métier de professeur un dernier rempart contre l’atomisation de l’être humain et la volonté de réduire l’élève au rang de simple pièce d’une énorme « machine-école » (p. 25). Toutefois lorsque Philippe Meirieu affirme que « être professeur, c’est une manière particulière d’être au monde » (page 9), que « accepter la médiocrité inévitable du quotidien ne signifie pas pour autant, se condamner irrémédiablement à la routine et à l’insignifiance », ou que « ce sont toujours les éducateurs des “anormaux” qui ont fait progresser la pédagogie » (p. 17) alors force est de reconnaître que cette lettre peut être lue par d’autres que son destinataire, et en l’occurrence par les éducateurs. Elle n’est pas le propos d’un « vieux con » (p.83) mais bien plutôt celui d’un « rêveur d’avenir » (p.86 et suiv.). Et puisque Philippe Meirieu veut faire de « l’école une fête », disons que celle-ci commence à la lecture de ce petit ouvrage.


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