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🎥 CINÉ ‱ Peines perdues

Trois dĂ©tenus « longues peines » se voient accorder une permission d’un week-end. Il s’agit de renouer avec l’extĂ©rieur, dont avec des proches qui se sont parfois bien Ă©loignĂ©s. Que faire de ces 48 heures ?

Cliquetis, bruits mĂ©talliques, dĂ©tenus qui s’apostrophent, innombrables portes claquant avec fracas, alarmes, Ă©cho des voix
 Épuisants, les sons caractĂ©ristiques de la prison saturent l’atmosphĂšre. Pompes, muscu, priĂšres
 Les corps contraints s’entretiennent comme ils peuvent. Dans cette citĂ© surpeuplĂ©e, hors du monde, « il y a une histoire de vie cruelle tous les mĂštres carrĂ©s » observe la rĂ©alisatrice, qui travaille depuis plusieurs annĂ©es sur le sujet.



Trois profils

Comment rĂ©intĂ©grer le monde des humains ? DĂ©pendant de son lourd traitement pharmaceutique, Bonnard saisit l’ampleur du challenge, et navigue entre excitation joyeuse et angoisse Ă  la perspective de retrouver ses parents et son fils ; perclus de mutisme et de solitude, Hamousin entend, lui, mettre toute son Ă©nergie au service d’une rĂ©insertion professionnelle en vue ; Colin, chien fou qui porte en lui une culture urbaine, illĂ©gale, rappeur aux copains louches, revoit une mĂšre qui n’en veut plus.



De la cellule à l’espace

La sortie de prison ne peut qu’ĂȘtre dĂ©flagration. Soustraits de la sociĂ©tĂ© des hommes depuis si longtemps, les trois prisonniers sont aveuglĂ©s par l’éclat de la libertĂ©. Quittant un lieu oĂč, tous les vingt mĂštres, l’ouverture d’une porte dĂ©pend d’un surveillant, comment se retrouver Ă  l’air « libre » quand on porte, Ă  ce point et depuis tant d’annĂ©es, la prison en soi ?



Temps suspendu

Le temps est si mouvant, si subjectif. Dans l’établissement pĂ©nitentiaire, Ă©videmment, selon qu’on ait une perspective de parloir, de permission, de libĂ©ration
 ou rien de tout cela. LĂ , dehors, pour les trois hommes, il s’agit de vivre, de renouer, d’aimer, de rĂ©sister aux pulsions. La fragilitĂ© des sortants Ă©tant manifeste, une sorte de rodĂ©o Ă©motionnel s’installe. Pas facile en effet : Bonnard inquiĂšte les siens par l’amour dĂ©bordant qu’il porte Ă  son fils ; Hamousin, pourtant brisĂ©, retrouvera son ex-femme, mais
 ; Colin, privĂ© de mĂšre, aura du mal Ă  ne pas revenir Ă  ses dĂ©mons.



Les stigmates

Les personnages ne cessent de lutter contre un stigmate qui entache le regard des autres. Quand auront-ils fini de payer leur dette, quand seront-ils enfin affranchis de l’étiquette infamante de dĂ©tenu ? Quand leur sera-t-il enfin octroyĂ© la part d’humanitĂ© qui leur revient ? En posant ces questions de simple vivre-ensemble, la cinĂ©aste — qui, venant du documentaire, rĂ©alise lĂ  son premier long-mĂ©trage de fiction — a voulu « questionner et filmer ces corps jetĂ©s dans le rĂ©el lors d’une permission ». C’est formidablement ambitieux. Et convaincant.

Joël Plantet





Temps mort

Un film de Ève Duchemin. 1 h 58.


Avec Karim Leklou (Bonnard), Issaka Sawadogo (Hamousin), Jarod Cousyns (Colin).

Sortie 3 mai.




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