Le 22 janvier 2024 | Par Claude Hugonnaud, responsable du pôle personne isolée, Angélique Revest, cheffe de service et Loïs Demange, psychologue clinicien au CHRS Les Herbeaux - Audacia Poitiers | Échos du terrain (accès libre)

Violences conjugales : accompagner les auteurs, c’est protéger les victimes

Protéger les victimes en accompagnant les auteurs interpelle quant à une nécessaire évolution des politiques et des interventions. Cette approche innovante met en lumière la nécessité de traiter simultanément les deux aspects de la dynamique des violences au sein du couple. C’est un appel à rompre avec les approches unilatérales pour adopter une vision plus globale et proactive, vers un nouveau paradigme.

Lorsque le foyer conjugal, familial se transforme en terreur, il est essentiel de protéger les victimes (adultes et enfants) et d’accompagner les auteur·e·s. Cependant, la réponse efficace à ces comportements violents nécessite également une prévention de leur récidive par une approche systémique des violences au sein du couple et un soutien approprié aux auteur·e·s.

Au Canada, les centres d’accueil pour les auteurs·e·s sont une pratique établie, mais en France, ce changement peine à s’implanter. Dès 2007, Luc Frémiot, procureur de la République de Douai, a expérimenté l’éviction du/de la conjoint·e violent·e en lien avec un CHRS, inspiré du modèle canadien. Il a constaté que l’accueil des auteur·e·s dans des centres dédiés, avec l’intervention d’éducateur·rice·s, de psychologues et de psychiatres spécialisé·e·s, permettait de comprendre les causes des violences, obtenant de bons résultats. Le taux de récidive était de 45 %, comparé à 6 à 8 % en utilisant les méthodes qu’il préconise.

L’association Audacia s’engage dans la prévention de la récidive et la lutte contre la précarité, y compris les violences conjugales et intrafamiliales. L’accompagnement des auteur·e·s marque un changement de paradigme dans la lutte contre ces violences, évitant ainsi une "double peine" pour les victimes. Pour que ce changement se concrétise, la collaboration entre acteur·rice·s locaux·ales de la justice, des services de probation, médicaux et sociaux est essentielle.

Un protocole départemental

Depuis 2007, un protocole de lutte contre les violences conjugales existe dans notre département (86), proposant un accueil des auteur·e·s en CHRS. Cependant, il a été insuffisamment utilisé jusqu’à ce que des acteur·rice·s convaincu·e·s du modèle le développent. Dans le cadre du Grenelle des violences conjugales en 2019, la ministre Madame Schiappa a annoncé le cofinancement de deux centres de prise en charge des auteur·e·s de violences dans le couple dans chaque région d’ici 2022.

Cependant, le volet hébergement demeure insuffisamment pris en compte, malgré cette annonce ambitieuse. Une prise en charge adaptée des auteur·e·s ne se limite pas à l’éloignement du domicile, elle exige un suivi spécifique.

Réduire la récidive : une approche psychosociale innovante en CHRS

Des études confirment qu’un accompagnement psychosocial des auteur·e·s réduit le taux de récidive.

Depuis 2021, nous accueillons des auteur·e·s sur le site du CHRS, quatre places à titre expérimental. L’équipe est composée de deux accompagnatrices sociales et d’un psychologue. Cela permet à la victime de rester au domicile conjugal et à l’auteur·e de bénéficier d’un accompagnement personnalisé. L’accompagnement des auteur·e·s en CHRS collectif évite leur retour au domicile et le contact avec la victime après leur placement sous contrôle judiciaire.

Dans cette approche, l’accueil et l’accompagnement des auteur·e·s dans le couple sont institutionnalisés, favorisant leur subjectivité et leur responsabilisation. Au CHRS Les Herbeaux, la cheffe de service représente l’institution, les accompagnatrices sociales, la dimension sociétale, et le psychologue le subjectif, formant une triple interaction qui facilite la subjectivation du Sujet. Cette approche permet de faire face à la loi, de créer de l’altérité et de mettre en place des limites.

La clinique des auteur·e·s de violences dans le couple

La psychopathologie des auteur·e·s de violences dans le couple a déjà été étudiée. Les personnes accueillies sont en détresse émotionnelle, chacune manifestant leur singularité. Elles ont besoin d’un "SAS de décompression" pour faire face à leur situation. La prise en charge doit permettre de répondre à leurs questions sur la violence et les amener à reconnaître leurs propres violences. Il est important de ne pas oublier que ces auteur·e·s, ont des rôles multiples en dehors de leurs comportements violents.

Intégrer une perspective sociologique dans l’analyse des violences conjugales révèle l’importance de considérer les dynamiques sociales et les structures culturelles. Les rôles de genre traditionnels, les normes de pouvoir et de contrôle, ainsi que les inégalités économiques contribuent souvent aux violences conjugales.

La société elle-même peut façonner un environnement propice à ces violences. Les inégalités économiques et les disparités d’accès à l’éducation créent des tensions relationnelles. Une perspective sociologique souligne la nécessité de transformer les normes culturelles et de créer des structures de soutien communautaires pour lutter efficacement contre les violences conjugales.

Une perspective sociologique

En conclusion, l’approche que nous avons explorée, qui consiste à accompagner les auteur·e·s tout en protégeant les victimes, est bien plus qu’une simple évolution des politiques et des interventions. Elle incarne un changement profond dans notre façon de percevoir et de répondre à ce fléau. Elle nous rappelle que la protection des victimes ne peut être efficace que si elle est accompagnée d’une intervention proactive envers les auteur·e·s.

L’éviction physique n’est qu’une première étape, une réponse immédiate à une situation d’urgence. Mais pour briser le cycle de la violence, il faut aller plus loin. Nous devons reconnaître que les violences conjugales sont souvent le symptôme de problèmes plus profonds, ancrés dans les profils psychologiques, les expériences passées et les dynamiques sociales. C’est pourquoi l’accompagnement des auteur·e·s est essentiel.

Cette approche systémique, qui intègre la dimension psychosociale, implique un effort collectif. Elle exige la coopération de tous les acteur·rice·s, qu’ils soient du domaine juridique, social, ou psychologique. Elle nécessite des ressources financières et humaines, mais surtout une volonté ferme de la part des politiques sociales.

"Accompagner les auteur·e·s, c’est protéger les victimes" est bien plus qu’un simple slogan. C’est un appel à l’action pour briser le silence qui entoure les violences au sein du couple. C’est un appel à reconnaître que la lutte contre ces violences ne peut être pleinement efficace que si elle s’attaque aux racines structurelles du problème.

Nous avons le devoir de créer des sociétés plus équitables et bienveillantes, où la violence n’a pas sa place, quelle que soit sa forme.



À lire aussi dans Lien Social n°1328 le dossier : Violences dans le couple • Protéger les enfants co-victimes