N° 1009 | Le 10 mars 2011 | Joseph Rouzel | Critiques de livres (accès libre)

Tu viens avec moi ?

Claude Rouyer


éd. L’Harmattan, 2010 (232 p. ; 21,50 €) | Commander ce livre

Thème : Éducateur spécialisé

Il est plusieurs façons de rendre compte de ce métier de l’ombre dont les actes ne se voient pas au grand jour : éducateur. Soutiers du paquebot de l’intervention sociale, les éducateurs ont cependant un mal de chien à rendre lisible ce qu’ils fabriquent, à sortir les mains du cambouis du quotidien pour se faire entendre. Ce n’est pas faute d’essayer. Malheureusement, la plupart du temps les écrits de ces professionnels se noient dans la grisaille des rapports d’activité où fleurit la langue de bois. Mais d’aucuns, issus du métier, ont tenté l’aventure et fait œuvre de création, sans trop forcer l’imagination, au ras de la réalité vécue.

Claude Rouyer, lui, est déjà un vieux routard de l’éducation spéciale. Il a usé ses godillots dans la protection de l’enfance et exerce aujourd’hui comme formateur et directeur pédagogique dans un centre de formation, après un parcours universitaire où il a obtenu un doctorat en sciences de l’éducation.

Il s’y est lancé à son tour. Son roman Tu viens avec moi ? – titre tout fait pour emballer le lecteur ! – est ainsi plus vrai que vrai, tant la fiction possède cette vertu de dévoilement. Dans ce roman cousu main, au rythme qui ne se relâche jamais, tout y est : l’éducateur désabusé par la hiérarchie et le « système » mais qui n’a pas perdu son enthousiasme pour s’engager avec les minots (« son désenchantement était total. Lui qui rêvait de changer le monde, il prenait conscience de son impuissance. Son idéal s’était transformé en cauchemar ») ; l’assistante sociale sympa et branchée ; la psychologue « un chouïa guindée », lacanisée ; le directeur « qui se croit être, mais qui n’est pas » ; des jeunes qui en font voir de toutes les couleurs ; une mère de famille qui tient les travailleurs sociaux par la barbichette et les partenaires comme on dit : les flics, la justice, les profs et l’épicier du coin.

Le style de Rouyer alerte et alerté se coule assez bien dans la grande tradition du polar. Ce livre met en lumière cette particularité du travail éducatif : ce sont des histoires de vie des dits « éducs » qui croisent, côtoient, accompagnent d’autres histoires de vie, celles des dits « usagers » (et parfois très usagés).

Et ces rencontres, d’amour et de haines, d’espoirs et de ras-le-bol, de surprises et de répétitions, de débrouillardise et d’injustice, de bricolages et de carcans administratifs, sur un fond de scène sociale de plus en plus féroce pour les plus démunis de nos concitoyens, chaînent un tissu vivant dont le roman donne à lire la trame la plus intime. Remercions Claude Rouyer d’avoir exhaussé le quotidien éducatif et ses petits riens qui ne se voient pas, au niveau de l’art. Du grand art. Voilà un livre qui, une fois que vous y êtes entré, ne vous lâche plus. À mettre au programme de toutes les formations d’éducateur.


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