N° 822 | Le 21 décembre 2006 | Philippe Gaberan | Critiques de livres (accès libre)

Syndicats : lendemains de crise ?

Jean-Marie Pernot


éd. Gallimard, 2005 (395 p. ; 7 €) | Commander ce livre

Thème : Organisation

Il faut attendre la conclusion de cet ouvrage dense et patiemment rédigé, pour accéder à une légère forme d’optimisme de la part de l’auteur et l’entendre supposer que les syndicats n’ont dit leur dernier mot ni perdu la possibilité de « redevenir ce qu’ils ont cessé d’être : un acteur social avec lequel il faut compter. » (p.323). En réalité, au fil de la lecture de cette histoire des soixante dernières années du syndicalisme français, s’impose inexorablement une question : « À qui profiterait la mort du syndicalisme ? »

En effet, celui-ci est aujourd’hui bel et bien exsangue ! Au point même que certains prônent d’en finir de suite avec cette forme archaïque des rapports sociaux tandis que d’autres proposent de rendre obligatoire pour chaque salarié l’adhésion à un syndicat. Toutefois, Jean-Marie Pernot rappelle qu’il fut un temps où les syndicats étaient une puissance politique faisant jeu égal avec les employeurs et l’État. L’auteur rappelle que, à la fin des années 70, la CGT déclarait 2 377 000 adhérents et la FEN près de 550 000 (pp. 100 et suiv.). Comment expliquer alors ce formidable déclin qui, comme l’auteur le souligne dans son chapitre trois, est loin d’être un seul mal français ? Car c’est bien l’intérêt et la force de cet ouvrage que de faire fi des réponses faciles et des a priori idéologiques.

Au fil des pages l’auteur s’attelle à démasquer une multiplicité de facteurs explicatifs à cette mort annoncée du syndicalisme. C’est d’abord l’effondrement des grands secteurs industriels de la sidérurgie ou de la métallurgie, au sein desquels se forgeait et se transmettait une culture syndicale. C’est ensuite l’explosion des grandes centrales syndicales en des « myriades d’îles et d’îlots » composant un ensemble qui « bouge, se rapproche et s’éloigne continuellement » (p.183). Ce sont aussi les modifications des règles de la représentation des salariés au sein des entreprises suite aux réformes successives du droit du travail.

C’est encore et enfin l’affaiblissement continu de l’État au cours de ces trente dernières années ; celui-ci a fini par renoncer à occuper cette position de tiers dans le bras de fer qui historiquement oppose les employeurs à leurs salariés ; un bras de fer qui, désormais, tourne largement à l’avantage des premiers. Alors ce livre, judicieusement publié en poche, n’est pas seulement une histoire du syndicalisme mais bel et bien un regard acéré porté sur les mouvements de fond explicatifs du malaise dans la culture ; des mouvements que l’auteur compare à ceux de la dérive des continents et qui ont pour fonction de sculpter l’état de la planète.

C’est donc un livre à lire pour quiconque veut comprendre les temps présents.


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