N° 1352 | Le 2 janvier 2024 | Échos du terrain (accès libre)

Ma place de jury

Thèmes : Éducateur spécialisé, formation continue

Les épreuves de fin de formation sont pour les étudiants des moments attendus. Elles viennent sanctionner leurs parcours. Pour les jurys, ces épreuves s’inscrivent dans un processus d’évaluation et de transmission fort de sens.

Par Théodore Mbemba, éducateur spécialisé au FH La Maison aux Lierres, les Papillons Blancs de la Colline (92)

Les épreuves pour l’obtention du Diplôme d’État d’Éducateur spécialisé (DEES) se déroulent entre les mois de septembre 2023 et de juin 2024, comme à l’accoutumée. D’abord dans les centres de formation qui deviennent à cette occasion des centres d’examen, les épreuves se poursuivent ensuite à la maison des examens à Arcueil, pour les écoles qui se trouvent dans la région d’Île-de-France. Ces épreuves, pour les éducateurs en fin de formation, constituent « un rite de passage » qui vient les confirmer dans leur professionnalité et dans leur identité d’éducateur spécialisé.

D’une rencontre à une autre…entre évaluation et transmission

Pour avoir vécu ce rituel il y a de cela quelques années, je comprends et le sens, et la signification de ce temps d’évaluation et de transmission ; un processus qui commence dès l’entrée en formation. Et, le principe de l’alternance qui participe à la formation des éducateurs spécialisés, vient conforter l’identité professionnelle des deux parties qui sont en harmonie : formation théorique / formation pratique. Il s’agit là de mettre en évidence, les articulations entre les enseignements, les processus pédagogiques dispensés à l’école, et l’immersion vécue au sein des professionnels et des usagers dans les terrains de stage. Ainsi, la transmission du métier par ses pairs reste un axe essentiel pour favoriser le travail de réflexion et d’élaboration autour des pratiques professionnelles. La dynamique initiée, tant sur le terrain qu’à l’école devient formative, en ce qu’elle avère l’acquisition des connaissances, des méthodologies de travail, des valeurs d’engagement partagées, une posture professionnelle et une éthique. Sans doute, est-ce pour les mêmes raisons que « les travaux de Jean-François Gomez et ceux de Thierry Goguel d’Allondans, se sont, à un moment donné, rencontrés sur la question de la formation. L’un comme l’autre, affirmant que la formation est un processus d’initiation » (1).

Un chemin

Ce chemin a été aussi le mien. Je pars de l’idée que la trajectoire d’une existence ne se limite pas seulement à la traversée d’une formation, d’un réseau social ; elle est projet, elle est destin. En effet, traversant la vie, chacun de nous entre en relations, durables ou temporaires, avec bien d’autres personnes. Et c’est par ces entrecroisements que nous apprenons à vivre ensemble, à rencontrer l’autre. De jadis à aujourd’hui, je me rappelle encore que la société, ce sont des liens qui se tissent et se retissent. Alors, en suivant ce fil indéfiniment prolongeable, je comprends l’importance de travailler sur la temporalité. Dans ce sens, « nous avons le devoir de transmettre à ceux qui nous suivent comme ceux qui nous ont précédés nous ont transmis, même si les temps sont différents » (2).
En prenant en compte les valeurs qui président à l’évaluation et à la transmission, j’ai retenu pour ainsi dire, les dimensions humaines et professionnelles qui favorisent la jonction entre ces deux processus. Dans ce sens, il s’agit à la fois d’interroger et de construire des identités professionnelles, dans la mesure où celles et ceux que nous avons à écouter, à évaluer, ne sont plus ni stagiaires ni étudiants. Ce sont des candidats à l’obtention du DEES, c’est-à-dire des professionnels à qui on a transmis au cours de leur formation, et qui vont transmettre à leur tour dans l’exercice du métier. S’agissant des épreuves orales, les candidats exposent leur travail, échangent avec le jury. Ils parlent de leur pratique, de leur expérience (l’accompagnement des personnes accueillies, le travail d’équipe, le travail de coopération, la rédaction des écrits professionnels, les difficultés rencontrées sur le terrain…), tout en mettant en valeur les compétences acquises à transférer dans les différents champs de l’exercice du métier d’éducateur spécialisé.
C’est pourquoi ma participation sur plusieurs années à un jury d’examen pour le DEES, m’a amené à penser les épreuves de certification, comme des temps de rencontre, d’échange, de confrontation autour des concepts et des pratiques, qui s’inscrivent dans un processus d’évaluation / transmission. Ce moment est aussi et surtout un acte d’institution et d’initiation. Et, « ce pivotement du sacré, à chaque passage périlleux de l’existence, est l’essence même du rite qui va permettre de gérer cette difficulté majeure : passer de l’ordinaire à l’extraordinaire, du profane au sacré […]. D’autres portes s’ouvrent, qui indiquent un nouveau degré du sacré. Là, serait (est) le pivotement du sacré » (3).

Fonction éducative

Par leur place et dans la méthode, les candidats se projettent en même temps dans la fonction éducative. Ce sont des paroles, des mots, une posture, des comportements et attitudes ; toutes choses dont aucun « technicien » ne peut recueillir ni traduire le plus, à moins d’avoir partagé un vécu avec un public en difficulté. Il est non moins vrai que le travail d’éducateur spécialisé, conduit ce dernier qui le pense, à dé-réifier son objet, à le saisir comme un langage capable d’ouvrir son propre langage. Pour ma part, cette rencontre m’oblige aussi bien à la bienveillance avec le candidat, mais aussi à l’exigence dans l’évaluation de son travail. Je m’accorde le temps pour comprendre et évaluer le travail de maïeutique du candidat. Il me faut être attentif à moi-même pour mieux écouter, entendre et « respecter la parole » du candidat. Une posture de cet ordre, nous a permis (je pense à mes collègues jury) d’aller chercher les candidats dans le tréfonds de leurs connaissances, de leur praxis, pour revenir ensuite les discuter, les partager avec le jury. Ici, comprendre le travail intérieur du candidat, c’est se pencher sur la particularité de l’héritage à transmettre. C’est aussi « offrir aux candidats la possibilité de s’inscrire dans une lignée, et donc dans une histoire, elle-même porteuse de valeurs progressistes et humanistes » (4).



Formateur-passeur

Transmettre, c’est en même temps ouvrir des voies pour témoigner. J’ai appris de mon Maître (le regretté Professeur Claude Pairault) que les formateurs sont bien des passeurs. Pour ce faire, il convient de partir en amont de l’exercice, et de continuer l’itinéraire plus loin en aval. Car cette transmission, ce travail d’initiation vécue et partagée par des générations d’éducateurs, va nécessairement se poursuivre.
En signant les pages qu’il vient d’écrire, un éducateur spécialisé ne saurait oublier qu’il doit le meilleur de son travail à l’intervention, à la patience et à la collaboration des autres. Au début et au bout du compte, notre gratitude à La Sauvegarde des Yvelines, en ce qu’elle m’a permis pendant plus de trois décennies, à apprendre des autres, avec les autres, de transmettre.
Encore, vaut-il la peine, ici comme ailleurs, d’apprécier d’abord avec discernement la tradition qui est au cœur de la transmission, par référence incessante à une pratique et un chemin qui sont d’abord des outils, et non des finalités.

(1) GOGUEL d’ALLONDAN (Thierry), GOMEZ (Jean-François), Le travail social comme initiation. Anthropologies buissonnières, Toulouse, Édition Ères 2011, op. cit.P.58
(2) Ibid
(3) Ibid
(4) MARCHAL (Jean Luc), « De la transmission dans le processus de formation », Revue VST, n°129-2016,PP.28-32, cit P.30