N° 1099 | Le 28 mars 2013 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

Les tisseurs de quotidien. Pour une éthique de l’accompagnement de personnes vulnérables

Arlette Durual & Patrick Perrard


éd. érès, 2012 (147 p. ; 12 €) | Commander ce livre

Thèmes : Pratique professionnelle, AMP

L’ambition affichée par les auteurs était de valoriser ce quotidien qui constitue le terreau de l’accompagnement éducatif et social assuré par les aides médico-psychologiques. Pari tenu ! L’ouvrage qu’ils nous proposent est une réussite, véritable hymne à ces petits riens qui recèlent une bien plus grande richesse qu’il n’y paraît. Car ce qui semble se réduire à une routine, à un rituel tournant en boucle ou à une trame se reproduisant à l’infini, peut s’avérer un lieu ouvert à l’éclosion de bien des possibles.

Le quotidien partagé entre une personne ayant une grave déficience et le professionnel qui l’accompagne constitue un système complexe qui n’est pas vécu, par chacun, dans le même rapport à l’espace-temps. Du côté du résident, la permanence et la continuité apportent un rythme de base, des repères et une temporalité qui remplissent cette fonction rassurante, stabilisante et contenante indispensable à son équilibre. Mais, du côté de l’institution, cette constance la confronte au risque totalitaire : obligation faite de manger de tout, mobilier identique pour tout le monde, choix des vêtements fait par le personnel, refus de décorer la chambre au prétexte de ne pas abîmer les murs, économie sur le nombre de protections hygiéniques utilisées chaque jour, promiscuité et absence d’intimité, etc.

C’est justement au cœur de ces actes simples et élémentaires que peut s’élaborer la prévention contre un mode de vie concentrationnaire ou ségrégatif. C’est de façon à chaque fois spécifique que chacun habite et organise son espace et entre en interaction avec son environnement. Respecter cette originalité est le meilleur outil pour lutter contre la standardisation et la perte d’identité qu’induit potentiellement toute vie en collectivité : tenir compte des préférences alimentaires, être attentif à la façon dont la personne souhaite aménager son lieu de vie, être sensible à ses goûts en matière vestimentaire, frapper à la porte avant d’entrer dans sa chambre… Loin d’être insignifiante, la vie quotidienne est au centre de la lutte contre la perte de l’estime de soi. L’interroger permet de mieux appréhender le sens des comportements et d’accompagner les personnes dans leurs besoins, à partir de ce qu’elles montrent de l’éducation qu’elles ont reçue, du parcours de vie qui a été le leur, des conséquences de la pathologie dont elles souffrent.

L’acte éducatif ne se limite donc pas à une succession de gestes ou d’actes banals et répétitifs. Il consiste à accueillir l’autre dans son étrangeté, sans vouloir effacer chez lui ce qui nous déplaît, à rendre visible ce qui agit en lui et à créer des situations lui permettant d’advenir en tant que sujet.


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