N° 1327 | Le 15 novembre 2022 | Par Lucas Villard, psychologue clinicien, protection sociale de Vaugirard – Jean Chérioux | Échos du terrain (accès libre)

Handicap et habitat : penser les dispositifs d’accompagnement

Thèmes : Logement, Handicapés

Repenser l’offre et les modalités de logements à destination des personnes en situation de handicap, en élaborant des projets d’habitat inclusif, semble aujourd’hui l’un des enjeux du secteur médico-social dans le cadre de la mise en œuvre de parcours d’accompagnement dans et vers le logement.

Depuis janvier 2022, la Protection Sociale de Vaugirard-Jean Cherioux a obtenu un agrément pour développer un projet d’externalisation de places en appartement semi-autonome, rattachées à un foyer d’hébergement et à destination d’un public de personnes en situation de handicap mental et psychique. Il s’agit de louer quatre appartements dans le 15e arrondissement de Paris, mis à disposition par les bailleurs sociaux de la ville. Nous louons déjà un studio et un F2, et nous aspirons à la location de deux appartements supplémentaires, avec comme objectif de pouvoir accueillir des personnes seules, des couples et/ou des collocations en fonction des souhaits et possibilités des bénéficiaires.
À ce jour, nous accueillons et accompagnons un couple ayant intégré au 1er trimestre 2022 un appartement de type T2, ainsi qu’une personne seule en studio, depuis le mois d’août.
Les enjeux de ce dispositif sont pluriels. Il est question de répondre aux besoins, aux attentes et aux désirs croissants des personnes accueillies en foyer, au domicile de leur famille, etc., à disposer d’un logement à soi, d’une autonomie supérieure et comparable au milieu ordinaire. Il s’agit également de pouvoir accompagner le souhait de sortir des institutions spécialisées où les mouvements identificatoires ne sont plus en jeu qu’au-dedans de nos murs mais entendent aussi se déployer au dehors. Nous devons entendre les désirs de liberté, d’intimité, de sexualité, de parentalité, d’autonomie, de maîtrise et de «  normalité  », souvent complexes à mettre en œuvre et pouvant se heurter à certaines limites dans le cadre de la vie collective d’un ESMS ; et ce malgré la forte tendance à repenser ces thématiques qui font partie intégrante de la vie de nos institutions. Nous cherchons à les ouvrir et ce type de projet le permet.
Rattachés au foyer d’hébergement Marie José Chérioux, ces appartements en semi-autonomie ont ainsi pour objet d’accompagner à moyen-long terme des personnes en situation de handicap afin de leur permettre d’acquérir une autonomie la plus grande possible, dans l’optique qu’elles puissent ensuite, et dans le respect de leurs temporalités individuelles, de leurs besoins et de leurs capacités, intégrer des logements plus autonomes et/ou ordinaires, soit en lien avec des structures de type Service d’Accompagnement à la Vie Sociale (SAVS), soit en complète autonomie.
Pour les personnes accueillies, avoir un logement à soi peut constituer le fondement d’une individualité, d’une inclusivité citoyenne et sociale. Elles disposent dès lors d’un logement, comme tout un chacun, au sein duquel elles peuvent inviter, recevoir de la famille, des amis, des voisins, des petit(e) s ami(e) s, avoir des animaux, etc. L’un des enjeux majeurs est de développer les potentialités à être sujet de sa vie dans un espace privé, à soi et pour soi, apportant une structure, une enveloppe psychique, favorisant l’autodétermination, le libre arbitre, la liberté et l’intimité. Un espace de vie privée, physique et psychique, qui vient faire lien entre le dedans et le dehors.
Une équipe pluridisciplinaire est dédiée à ce dispositif pour étayer et soutenir les processus d’apprentissage de la vie quotidienne, des tâches ménagères et domestiques, faire les courses, gérer un budget, regarder une date de péremption, savoir se repérer dans le temps, prévenir en cas de besoin, gérer l’administratif autour de la vie domestique, prendre soin de soi, etc.
Le rôle de l’équipe accompagnante est également d’être un support de citoyenneté, soutenant un processus d’investissement dans la vie de la cité, dans la vie de quartier, et permettant d’identifier et de repérer les lieux nécessaires à une vie citoyenne (mairie, police, CCAS, par exemple).

À la fois loin et proche

La proximité géographique entre les appartements et le foyer d’hébergement est un élément rassurant pour les personnes accueillies. Les bénéficiaires peuvent se déplacer sur site en cas de difficulté ou téléphoner directement au foyer qui pourra mettre en place un relais afin qu’un éducateur se déplace au domicile, ou fasse appel à un professionnel extérieur compétent, le cas échéant (plombier, pompier, etc.). Cette proximité est également favorable à la mise en place des actions éducatives et thérapeutiques nécessaires à l’accompagnement des personnes accueillies. Faire ses premiers pas dans un logement à soi, quand les dernières années furent le récit d’une vie en institution, n’est pas chose aisée pour tous ; c’est un bouleversement qui requiert de trouver de nouveaux repères. Ces nouveaux espaces de vie, de fait plus solitaires, demandent des assises psychiques suffisamment solides pour pouvoir les investir, s’y sentir en sécurité, s’y développer et s’y épanouir.
à la différence de l’institution où les espaces privés, individuels, se mêlent aux espaces publics et collectifs, accompagner des personnes sur un tel dispositif révèle une analogie avec les services d’aide à domicile. C’est l’institution à laquelle ce dispositif est rattaché qui entre au domicile en apportant ses bagages théoriques, pratiques, ses représentations et techniques éducatives. Néanmoins, ces espaces de travail éducatif pour les professionnels n’en sont pas vraiment pour les bénéficiaires, puisqu’ils sont avant tout «  une chambre à soi  » pour reprendre la célèbre formule de Virginia Woolf. Préserver l’espace intime, affectif et se détacher de toute vérité, de tout caractère intrusif, est l’enjeu auquel se confrontent les professionnels de ce dispositif.
Développer des logements adaptés aux besoins, désirs et potentiels des personnes en situation de handicap dans nos villes et dans notre société, doit permettre de développer des pratiques professionnelles favorisant elles aussi l’accessibilité de l’environnement social, économique, culturel, la rencontre et la citoyenneté dans des lieux de vies et de droits communs.
«  Après avoir grandi, l’enfant, puis l’adolescent handicapé est devenu adulte. Va-t-il nécessairement vivre dans un établissement collectif qui le prendra en charge dans tous les actes de la vie ? Pour certains cela peut sembler une nécessité. Pour d’autres, accéder à un domicile propre sera un enjeu majeur pour accéder à une authentique vie d’homme.  » (1)


(1) Quentin, B. (2012). L’habitat facteur de participation sociale : «  d’une intimité de coquillage à l’extériorité sans peau  ». Bulletin d’informations du CREAI Bourgogne (323) p.10-19.