N° 1256 | Le 3 septembre 2019 | par Élodie Renaudineau, Monitrice éducatrice | Espace du lecteur (accès libre)

Avançons… Pas à pas… Mais pas à reculons !

Thèmes : Déontologie, Pratique professionnelle

Triste constat : En relisant des Lien Social datant d’il y a cinq ans déjà, je réalise que les choses n’ont globalement pas évolué vers le mieux mais qu’elles ont bel et bien empiré ! Il y était question de suicides de travailleurs sociaux, épuisés de faire face à des hiérarchies plus intéressées par les CPOMs et les budgets que par le bien-être des usagers et des professionnels ; le bien-être de la structure en somme…

Il y a quelques mois les travailleurs sociaux de l’Aide sociale à l’enfance étaient en manifestation (face à un mur de CRS protégeant les Assises de ces terroristes !), pour dénoncer eux aussi, des situations de plus en plus complexes à gérer dans ce genre de contexte. Une psychologue de ce service s’est carrément vu répondre par sa direction : «  Nous ne sommes pas là pour faire de l’humain ici.  » Un comble !

La cause de cette réaction ? La situation de jeunes migrants, traumatisés par leurs parcours et qui, exprimant une certaine violence, mettent forcément à mal une société qui s’éloigne de plus en plus de l’humain, effectivement ! La travailleuse sociale référente de ces jeunes a été accusée par sa hiérarchie de trop en faire ! Interlocutrice privilégiée, elle était en effet la seule personne de confiance vers qui ces jeunes ont osé se tourner… Pour parer à ce manque de distance professionnelle, les jeunes ont été changés de service et il a été interdit à la référente déboutée de prendre contact avec les nouveaux référents pour réaliser une passation digne d’un travail éducatif bienveillant et constructif… Il en est là le travail social aujourd’hui. Plutôt que de soutenir des personnes en difficulté on les éloigne plus encore, et sans hésiter à brimer les personnes qui osent leur venir en aide. Quand bien même cela serait leur travail ! J’invite au soutien de ces personnes courageuses qui résistent à faire de l’humain une priorité, envers et contre des prérogatives parfois abjectes. Au diable la juste distance quand des personnes traumatisées ont besoin d’une vraie main tendue au lieu de discours administratifs incohérents et hypocrites !

Dans un autre Lien Social datant lui aussi d’il y a à peu près cinq ans, un éducateur en formation nous invitait à la remise en question de nos métiers du travail social : sommes-nous là pour couvrir et faire respecter un système de plus en plus discutable, ou sommes-nous là au contraire pour remettre tout ça en cause ? Pour nous battre pour les valeurs qui nous tiennent à cœur face à l’ogre immonde et barbare qu’est devenu notre gouvernement ?

Un appel a été lancé il y a peu par quelques centaines de scientifiques et artistes, pour inciter le gouvernement français à faire de l’écologie une réelle priorité. Aurélien Barrau, un des scientifiques à l’initiative de cet appel, nous prévient. D’ici trente ans, le nombre de réfugiés climatiques sera 2000 fois plus important en nombre, que celui que nous laissons lâchement mourir en mer ou périr à nos frontières ! Il dit encore que si notre façon d’accueillir (ou plutôt de non-accueillir) ces gens n’est pas plus humaine et respectueuse que celle dont nous faisons preuve aujourd’hui, c’est une guerre que nous essuierons ! Laisserons-nous un monde en guerre à nos enfants ou nous battrons-nous comme des bêtes pour ne plus accepter l’inadmissible réalité que nous cautionnons chaque jour en allant travailler dans ce genre de conditions ?

Il existe énormément d’initiatives, de projets, d’idées voire d’associations qui militent d’ores et déjà et qui proposent des choses différentes, et qui vont à l’encontre du système établi. L’espoir est là ! Je pense qu’il est temps de sortir des rouages infernaux des institutions pour proposer nous aussi ce qu’il y a de vie, ce qu’il y a de beau en nos cœurs et que nos conditions de travail ne permettent plus d’exprimer. La travailleuse sociale dont je parlais plus haut est par exemple devenue hébergeuse solidaire. Au diable la distance professionnelle quand elle ne nous permet plus d’ « Oser le verbe aimer en éducation spécialisé  » (Philippe Gaberan). Cela ne sera pas facile de sortir d’un cadre qui nous protège aussi bien professionnellement que personnellement, mais il est peut-être important de revenir au cœur de notre métier, au cœur du lien social, pour pouvoir construire une nouvelle démarche d’aide, plus proche des réalités de terrain que des chiffres.