N° 897 | Le 18 septembre 2008 | Jean Cartry | Critiques de livres (accès libre)

Loczy ou le maternage insolite

Myriam David & Geneviève Appel


éd. érès, réédition 2008 (243 p. ; 15 €) | Commander ce livre

Thème : Education

Publié en 1973 sous un titre énigmatique, ce petit livre est construit autour de la clinique des carences précoces qu’il s’agit de prévenir ou de soigner. Les auteures s’inscrivent dans une lignée de cliniciens pour qui le maternage ou la vie d’un enfant ou d’un adolescent en institution ne vont pas de soi. Le tableau clinique est dominé par un sentiment global d’insécurité existentielle ; insécurité dans son corps, dans le temps, dans l’espace et dans la relation à l’adulte. Il en résulte inéluctablement des difficultés motrices, somatiques, cognitives et relationnelles, et des crises institutionnelles majeures. Le pilier du projet de Loczy est un trio de nurses pour neuf enfants, chacune maternant exclusivement trois d’entre eux selon un pattern de maternage… insolite.

Très différent d’un pattern maternel car les pulsions et les affects y sont rigoureusement maîtrisés et contrôlés sans pour autant écarter tendresse et douceur. Le cadre de vie de l’enfant est à la fois constant et mobile mais toujours familier et sécurisant. Les transitions entre les séquences de vie, les lieux et les personnes sont préparées en équipe et contrôlées. Tout le travail de maternage revêt le caractère et les exigences d’un « soin » (maître mot chez Myriam David) et requiert à la fois l’engagement personnel de tous les intervenants et des critères de scientificité : observation, essais, réfutations, critiques…

A partir de la pratique on élabore une théorie qui structure et oblige tout le fonctionnement institutionnel. L’observation par les auteures de bébés et de nurses en situation de soin donne lieu à des notations minutieuses, cocasses, tendres, toujours rigoureuses car chaque geste fait signe à l’enfant et pèse, par conséquent, son poids de sens. On se souvient de l’apparente boutade de François Tosquelles : « Le premier de tous les savoirs est un savoir de nourrice » mais, à Loczy, d’une nourrice qui est l’institution tout entière en raison de la cohérence institutionnelle. Trente-cinq ans après sa première publication, ce livre donne beaucoup à penser.

D’abord, au statut minoritaire de la clinique des carences précoces dans nos institutions et les centres de formation, alors que la majorité des enfants et des adolescents, qui nous sont confiés relève plus ou moins de cette clinique. Ensuite, au fait que, faute d’une articulation rigoureuse à la clinique, de trop nombreuses institutions sont dévoyées par le tropisme managérial, épuisées par les conflits d’équipe et les « crises » internes récurrentes. Elles accentuent le sentiment global d’insécurité existentielle des enfants qu’elles sont censées soigner ! Certes, comme Loczy, la meilleure institution ne peut pas tout pour les enfants carencés, mais au moins, écrivent les auteures : « Parce qu’ils sont en institution, il ne faut pas leur promettre plus qu’on ne peut leur donner, mais ce qui est offert doit être constant et sûr. »


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