L’Actualité de Lien Social RSS


✖ TRIBUNE - Mon coup de colère

Par Christian Borie Président de la Fédération nationale des lieux de vie.
« La colère, ça fait vivre. Quand t’es plus en colère, t’es foutu  », Richard Bohringer,
Remercier c’est bien mais ça ne règle rien.
Propos d’un chef de service en Maison d’enfants à caractère social (MECS) : « Je me définis comme un bon petit soldat mais, pour la première fois la semaine dernière, j’ai eu peur de me rendre au boulot, peur de contaminer les enfants et d’infecter ma famille en rentrant le soir. J’étais tétanisé. »
Il me semble que le secrétariat d’état ne prend pas véritablement la mesure du besoin de protection des personnels en contact direct avec les jeunes et des conséquences de son absence. Ces personnes sont confrontées à des situations à risque potentiel important :
- retour de fugue, nouveaux accueils parfois en urgence dans les deux cas pas de "traçabilité"
- cas de jeunes probablement infectés donc potentiellement contaminants sans parfois de possibilité de "confinement dans le confinement".
Dans les deux situations pas de masques pas de tests possibles sauf si hospitalisation, mais c’est alors trop tard. Il serait capital de pouvoir tester les jeunes dans ces situations pour pouvoir réagir avant une contamination des autres jeunes et du personnel.
Les résultats de ce manquement :
- pour les jeunes de l’angoisse qui s’ajoute à l’angoisse, particulièrement dans les structures ou le confinement est le plus difficile (établissements urbains, publics nombreux, à difficultés multiples), ça peut également être vrai pour les enfants d’assistants familiaux ou de Lieux de vie et d’accueil (LVA).
- pour les personnels, un stress majeur qui génère un absentéisme conséquent dans les MECS et rend les situations de plus en plus difficiles à gérer. Pour les assistants familiaux et les LVA, une angoisse pour eux et leurs familles qui risque de mener à des refus d’accueil (c’est déjà parfois le cas).
Je pense que si Adrien Taquet avait comme interlocuteurs des professionnels directement confrontés aux situations et aux risques qui en découlent, il prendrait mieux la mesure de la situation. En effet, les personnes qui assistent à ces réunions téléphoniques sont des représentants professionnels et ils remplissent parfaitement leur rôle en transmettant ces inquiétudes, ces angoisses. Pour autant, leur langage reste posé et distancié, c’est leur rôle et ils sont en mesure de le faire car ils ne sont pas directement impactés. Nombre de personnels de terrain qui sont exposés, en plus du risque de contamination, à une montée de violence liée au confinement n’ont pas le même langage et la colère monte de plus en plus fortement face à l’unique réponse actuelle en matière de protection sanitaire : les gestes barrière. Pour beaucoup de professionnels (j’échange régulièrement avec des éducateurs de MECS, quelques familles d’accueil et bien entendu les LVA) le sentiment est que quand on leur dit de se laver les mains, on s’en lave les mains.
Lors de la dernière réunion téléphonique, la réponse en matière de masques a été de transmettre une liste de fabricants de masques tissus homologués par ... le ministère de l’économie et des finances !!! Et la santé ? Traduction : Débrouillez-vous, chacun pour soi. Certains départements ou régions ont été livrés semble-t-il ? Comment s’organise la distribution, qui en bénéficiera ? Quant aux tests toujours rien... Alors que des « drive de test » se mettent en place dans certaines villes, les personnels de la protection de l’enfance devraient y avoir un accès prioritaire dans les situations décrites plus haut, ce n’est pas le cas. C’est un abandon.
Je sais que ce n’est pas simple et j’ai bien conscience des difficultés structurelles auxquelles se trouvent confrontés nos dirigeants (peu de masques, peu de tests, manque d’investissement depuis des années dans la santé publique...) difficultés dont ils ne sont pas nécessairement responsables en totalité. Mais, les injonctions contradictoires, les propos de certains ministres perçus comme des provocations, les comportements de la police lors des récentes manifestations face aux personnels de santé, ont fait monter une colère énorme dans le pays et les travailleurs de la protection de l’enfance ne font pas exception. Il serait donc, à mon sens bon, que le type de réponses proposées en matière de protection des personnes soit différent, car ce qui est proposé actuellement peut être compris comme du cynisme.
Bien sûr, les LVA continueront à se débrouiller et à « bricoler » des solutions, les assistants familiaux dans leur ensemble continueront à assumer leur rôle difficile, les éducateurs et autres personnels de MECS ne lâcheront pas les « mômes », mais avec quelle amertume, quel ressentiment, quelles conséquences à moyen et long terme pour la protection de l’enfance qui est déjà « l’angle mort de la république » ?
Je continuerai bien entendu, malgré tout, à faire remonter un point de situation dans les LVA par Région, chaque semaine, et à participer aux réunions téléphoniques. Mon objectif n’est pas de polémiquer, mais bien d’exprimer une colère que je sais partagée.


LIEN SOCIAL n°1270 en accès libre