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✖ TRIBUNE - Colos annulées

Par Jean-Michel Bocquet, directeur du Mouvement rural de jeunesse chrétienne (MRJC), chargé de cours à l’université Paris 13 et à l’Institut supérieur de pédagogie (ISP).


Face à un protocole sanitaire imposé, déconnecté de la réalité de l’accueil des enfants et des délais très courts, plus d’une trentaine de colonies de vacances jettent l’éponge pour l’été.

La crise qui touche les colos est particulièrement grave. Au regard des annonces gouvernementales récentes - protocoles sanitaires stricts et vacances apprenantes – plus d’une trentaine d’organisateurs annuleront l’ensemble de leurs colonies pour cet été. À ces associations qui ferment tout, il faut ajouter celles qui ouvriront en partie ou la peur au ventre de devoir fermer faute de pouvoir respecter le protocole sanitaire.

Les problèmes sont nombreux :

  • contraintes économiques : coûts supplémentaires liés à la prévention du COVID-19, baisse du nombre de lits,
  • délais bien trop courts pour réussir à organiser ou réorganiser les bâtiments, les séjours,
  • animateurs - certains n’ont pas pu partir en formation -, directeurs et personnels saisonniers (entretien, cuisine, etc.), impossible à recruter dans des délais si tendus,
  • distanciation physique : comment empêcher les enfants de se toucher ? Comment permettre aux animateurs et aux animatrices de consoler ou cajoler un enfant ? Comment animer des colos sans contact ? Il est bien difficile de prendre soin des enfants sans contact. Si on ajoute les boums à 1 m de distance, on peut sérieusement se poser la question de l’intérêt d’aller en colo.

Vacances apprenantes contraires à toute l’histoire des colos et aux
valeurs portées par bien des organisateurs.

Les « vacances apprenantes » sont la reprise d’une idée XIXème siècle : la colonie scolaire. Ce modèle a été rejeté dès le Front populaire en raison de son absence de résultat. Wilfred Bion, pasteur suisse et inventeur des colos disait déjà il y 140 ans : « Notre temps met trop au premier plan le développement intellectuel des enfants et s’occupe trop peu de leur développement physique et moral... Certes, la science et l’instruction sont de grandes et magnifiques choses, mais la santé et la force du corps, une âme noble et pure sont des biens tout aussi précieux. »

Pourtant, le projet de vacances apprenantes est la seule réponse du gouvernement aux difficultés des colonies de vacances.
Il existe le droit commun et quelles aides sectorielles pour des organisateurs affiliés au secteur touristique mais la grande majorité des colos n’entrent pas dans le cadre du tourisme puisque ce sont des actions d’éducation populaire. Si les plus grands opérateurs voient dans les colos apprenantes une manne financière, il ne s’agit pas d’une aide. Les colos représentent le seul secteur pour lequel l’État impose un modèle pour pouvoir recevoir une aide indirecte puisque ce sont les familles qui en bénéficient.
Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale et de la jeunesse et Gabriel Attal, son Secrétaire d’État, espèrent faire partir 250 000 enfants en plus en cet été grâce aux vacances apprenantes. Pour mémoire, les colos ont emmené 850 000 enfants en vacances en 2019. Comment donc augmenter de manière si importante le nombre de départs, alors que bon nombre d’associations renoncent à organiser des colos ou réduisent le nombre de places disponibles ?

Le cahier des charges concernant les vacances apprenantes a été envoyé à tous les organisateurs le mercredi 10 juin, or l’Union nationale des centres sportifs de plein air (UCPA) a annoncé dès le 6 juin ouvrir 40 000 places sur le dispositif… Bon nombre d’organisateurs ont l’impression que les informations ne sont pas données de manière équitable à tous ; qu’entre ceux présents aux négociations et les autres, les chances de survivre à la crise sont inégales.

Alerte non entendue

Depuis la fin du mois de mars plusieurs organisations de colos ont alerté sur la situation mais il semble que les organisations présentes aux négociations avec le ministre n’aient pas voulu entendre ou qu’elles aient fait le choix de défendre leur place plutôt que l’intérêt de tout le secteur. Les propositions du Collectif Camps Colos sont restées sans réponse, sans invitation. Pourtant, ses membres connaissent bien le champ des colos… Lue et relayée, la tribune publiée dans le quotidien Libération le 11 mars n’a pas pesé… Et pourtant, elle dit vrai (1).

Les colos ne feront jamais de plan social, de licenciements massifs, ce sera une lente chute vers le dépôt de bilan, l’arrêt d’activité et la vente de patrimoine. Quand il ne restera que des gros opérateurs, la colo solidaire, attentive aux plus fragiles, présente dans des territoires ruraux, n’existera plus. Un pan entier de la richesse humaine de notre pays disparaitra définitivement.

Fin de la mixité sociale

Pourtant, les colos ce sont des enfants qui partent mais ce sont aussi les seuls endroits qui reçoivent ceux confiés à l’Aide sociale à l’enfance (ASE), qui permettent aux familles d’accueil de souffler, qui acceptent des enfants en situation de handicap pour proposer du répit aux familles, qui offrent l’opportunité aux enfants des quartiers pauvres ou populaires de découvrir la montagne, la campagne ou la mer.
Les animateurs et animatrices y apprennent les responsabilités, gagnent un peu d’argent de poche ; des jeunes découvrent et se forment aux métiers du care ; des filles et des garçons de 21 ans se frottent au management d’équipe ; des jeunes apprennent à d’autres jeunes ; des souvenirs et des découvertes fortes pour des ados ; l’apprentissage de l’autonomie, de la liberté, parfois des amitiés fortes, de la séparation ou de l’amour ; des jeunes qui plus tard seront ceux qui s’engagent dans les crises ; un espace d’épanouissement pour des enfants et des ados en rupture d’apprentissage ou en difficultés scolaires ; des emplois pour des personnels saisonniers ; de l’activité économique pour des territoires pauvres et ruraux.

Les colos, c’est… du contact, des liens, des rencontres, des massages, des pleurs, des joies et embrassades… Les colos ce n’est pas de la distanciation physique et des devoirs scolaires.

Si elles disparaissent ou deviennent uniquement un produit de loisir, il n’existera plus de lieu d’apprentissage en dehors de la forme scolaire, ni de lieu construisant les mixités et les rencontres.

Retrouvez le dossier : Colonies de vacances • Un idéal à sécuriser dans Lien Social du 19 février 2019.
De moins en moins fréquentées, les colonies de vacances ne jouent plus la carte de la mixité sociale. Elles deviennent un produit. Pour éviter que le secteur du tourisme ne les dévore, la résistance s’organise.

À LIRE : Communiqué de presse du 15 juin du ministère des solidarités et de la santé concernant les vacances apprenantes pour les enfants de l’Aide Sociale à l’Enfance

(1) https://www.liberation.fr/checknews/2020/05/13/les-colonies-de-vacances-pourront-elles-avoir-lieu-cet-ete_1788124

Crédit photos : Association La Bêta-Pi - Maison de Courcelles - DR