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► Plonger et rebondir : l’intégrale - Trouver le fond pour impulser la remontée !!!

Lien Social a consacré son numéro 1320/1321 aux questionnements qui traversent une action sociale en pleine crise. À la marchandisation, la rigueur budgétaire et perte de sens … répondent l’épuisement, prise d’initiative, réactivité, créativité et dynamisme. « Plonger et rebondir » a reçu près d’une cinquantaine de contributions, mais n’a pu en publier qu’une vingtaine. L’occasion de présenter sur notre site certaines des contributions que le lecteur n’a pas retrouvées dans la revue.

LS 1320-21 - Souffrance dans le travail social • Plonger ou rebondir ?



Par N. éducatrice spécialisée pour une parole d’équipe

Tout d’abord, merci à Lien Social de donner la parole aux professionnels du médico-social.
Voilà vingt-cinq ans que j’exerce en tant qu’éducatrice spécialisée au sein d’une association lyonnaise accueillant des adultes en situation de handicap. Mon parcours professionnel s’est construit autour d’une éthique et d’une croyance dans le possible de chacun.
Durant toute ces années, j’ai vu progressivement les moyens humains et matériels diminuer, se dégrader jusqu’à devenir quasi nuls. J’ai été formée à Recherche et Promotion avec des formateurs qui m’ont transmis l’histoire du social, sa construction, son évolution, et surtout la passion de mon métier.
Les échanges, les interventions, les stages, les projets, les rencontres, la promotion 2002, l’amitié… m’ont construite et ont forgé l’éducatrice que je suis devenue avec de vraies valeurs humaines et sociétales.
Le changement s’est profilé petit à petit : les absences des professionnels moins remplacés, l’administratif de plus en plus envahissant sans temps dédié, la disparition de postes, une modification des prises en charges, une augmentation du nombre des personnes accueillies sans progression de l’équipe pluridisciplinaire, des temps infirmiers réduits pour des interventions sur plusieurs services, le temps du psychologue qui se réduit à quelques heures hebdomadaires, alors que les résidents et les équipes en ont cruellement besoin, l’arrivée de nouveaux accueillis « imposés » sous le couvert de l’urgence dans le foyer d’hébergement mélangeant des profils qui ne nécessitent pas le même accompagnement quotidien, des salaires risibles qui n’évoluent pas….
Nous travaillons avec une pensée globale, tout en faisant miroiter le possible de la singularité. La logique financière vient se percuter à nos réalités de terrain, aux besoins des résidents et des professionnels qui deviennent si peu considérés et reconnus dans le schéma pensé par des gestionnaires.
Il faut gagner du temps faire toujours plus et plus vite, avec des moyens de plus en plus réduits. Des logiciels nous sont imposés pour modifier les façons de faire, de transmettre, de gérer.
Pourquoi pas ? Évoluer, certes, mais en consultant les acteurs de terrain, avant d’imposer. La parole des équipes n’est plus prise en compte. Il faut faire en illusionnant que le participatif fait partie de la boucle….
Ceci n’est qu’un échantillon des conditions de travail dans lesquelles nous évoluons aujourd’hui. Je n’oublie pas cette fameuse grille Sérafin PH qui prétend pouvoir quantifier les besoins des résidents, pour pouvoir mettre en face le nombre de professionnel pour les réaliser…
Lors d’une réunion avec le Directeur général et le Président de l’association je me suis permise de dire que, pour moi, quantifier le temps pour réaliser un shampooing par exemple avec un résident n’était pas possible. De multiples critères doivent être pris en compte (le besoin de parole, l’état psychique, l’ambiance…). Le DG m’a prise de haut et a essayé de me faire taire.
Ce petit exemple n’est qu’anecdotique. Pourtant, il parle de la manière dont les professionnels sont considérés.
Les cadres dans leur grande majorité (certains ont encore des croyances), sont des gestionnaires qui se foutent de l’accompagnement des personnes, pourvu que ça tourne. Ils ne connaissent pas le monde de l’éducatif, parfois même le directeur de l’institution ne sait pas comment les équipes travaillent, voulant imposer de nouvelles façons de faire sans s’être même intéressé à ce qui se vit sur le terrain.
Les ressources des équipes ne sont pas inépuisables. Les institutions veulent du transversal, mais cloisonne de fait en noyant les professionnels d’informations qui viennent souvent se percuter à la réalité du terrain.
L’ère est à la mutualisation des moyens et des humains. Les directions jonglent avec les postes et imaginent que les professionnels sont interchangeables, selon le besoin institutionnel !!!!! Quand est-il des personnes que l’on accompagne ? Comment sont-elles considérées ?
Les professionnels disent, essaient de dire… L’épuisement arrive vite, aujourd’hui, car rien ne bouge et la parole n’est pas prise en compte. Les équipes ont également besoin d’espace comme l’Art thérapie, l’analyse de la pratique … pour sortir tout ce trop-plein qui amène certains d’entre nous à des Burn-out, démission, arrêt maladie, démotivation…
Si l’on parle à présent du salaire…
Voilà une grande question qui semble faire rire ou ne pas intéresser les politiques et nos représentants !! En dix ans, le point est passé de 3.76 de 2013 à 2017, pour arriver en 2022 à 3.82 !!!!
Il est fini le temps du sacerdoce, du dévouement ultime, de la vocation… qui pouvait permettre tout et n’importe quoi face aux humains qui décidaient de travailler dans ce secteur.
Le travail que je réalise au jour le jour et depuis de nombreuses années n’est pas gratuit, il est évaluable et doit être réévalué.
Oui, j’aime mon métier, je suis fière de le faire, de me lever le matin, mais mon investissement n’est pas bénévole. Est-ce normal qu’à 55 ans j’en sois encore à me demander si je peux prévoir un resto, dans le mois ?
Il me faut avoir travaillé deux week-ends par mois pour dépasser les 2 000 euros de salaire, après 30 ans d’ancienneté !! Je terminerai ma carrière professionnelle au mieux à 2 300 euros !!!! Belle progression pour une prise de responsabilité quotidienne et une charge de travail de plus en plus importante.
Comprenez alors, que la coordination éducative me passe au-dessus de la tête ! S’il faut en plus devenir des petits chefs de service sans le salaire et en réalisant les tâches les plus ingrates (plannings…).
Que faut-il en penser ? En ce moment le combat reprend, car avec le Ségur obtenu par le corps soignant, les équipes éducatives n’ont pas compris pourquoi leur travail à eux n’était pas reconnu par la société. D’autant plus que dans le secteur, les AMP perçoivent cette augmentation de salaire alors que les ME et les ES eux ne bougent pas !! Pour qui nous prend-on ?
La pandémie de Coronas virus a fait exploser les choses. Il a fallu pour les professionnelles en présentiel s’adapter à des normes de sécurité drastiques. Les clusters nous ont imposé de nous transformer en infirmiers, avec service en chambre pour les personnes contaminées, un accompagnement à la toilette malgré le virus, un soutien moral des personnes pour éviter des écroulements psychiques face à l’enfermement…
Inutile de vous dire que pendant toute cette période les « pontes associatifs » ont été aux abonnés absents. Mais en fait, j’espérais quoi ? Ferme ta gueule et tiens la baraque, résume bien leurs propos. Si ça ne te convient pas la porte est ouverte !!!
L’imagination et l’adaptation ont été les maitres mots et, finalement, j’ose dire que ces trois mois presque à huis clos ont été sans doute chargés de moments magiques, avec les personnes demeurées au foyer.
En fait tout était plus simple, car tout ce qui « pollue » l’accompagnement (administratif, papiers, rédaction, réunion, hiérarchie…) était mis de côté au profit de la relation et seulement de la relation. Le vrai quoi !!
Nous avons eu peur, mais il fallait et il faut encore assurer, redoubler d’inventivité pour que le quotidien ne soit pas subit et ne devienne pas chronophage.
De mon côté, un soutien médicamental a été nécessaire et l’est toujours. Un suivi psy m’aide aussi à ne pas plonger et à essayer de prendre le recul indispensable pour tenir dans un boulot que j’adore. S’engager également, car croire encore que la reconnaissance et les changements peuvent arriver !
L’équipe entière se soude lors des manifestations, pour scander son mécontentement et la volonté intacte de faire changer les choses.
Surtout, aucun de nous n’éprouve plus de culpabilité à l’idée de « lâcher » les personnes accompagnées, pour que le travail et l’investissement soit reconnus.
Nous nous disons régulièrement que ce que nous faisons est bien et que les individus que nous accompagnons sont les seuls à nous témoigner leur reconnaissance. Pour ce qui est des cadres ou des associations nous ne l’espérons plus, depuis bien longtemps !
Pour obtenir la prime du pouvoir d’achat, il a fallu manifester pour finalement obtenir 750 €. De cette prime seront déduits les accidents du travail et les arrêts maladie dus au COVID !!! Sans commentaire !!!!!
Ce qui est complétement fou, c’est que si un jour une augmentation de salaire se profilait, ce serait sans doute lié à une refonte des conventions 66 et 51 en une convention unique. Encore une fois pourquoi pas ?
Là où la vigilance est indispensable, c’est de ne pas accepter le fatalisme de la perte du peu de nos acquis au profit de quelques euros offert gracieusement par nos financeurs !!!