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► Plonger et rebondir : l’intégrale - Jusqu’où ?

Lien Social a consacré son numéro 1320/1321 aux questionnements qui traversent une action sociale en pleine crise. À la marchandisation, la rigueur budgétaire et perte de sens … répondent l’épuisement, prise d’initiative, réactivité, créativité et dynamisme. « Plonger et rebondir » a reçu près d’une cinquantaine de contributions, mais n’a pu en publier qu’une vingtaine. L’occasion de présenter sur notre site certaines des contributions que le lecteur n’a pas retrouvées dans la revue.

LS 1320-21 - Souffrance dans le travail social • Plonger ou rebondir ?



Par C. Éducatrice Spécialisée

La dégradation des conditions de travail, on en parle depuis tellement longtemps… depuis dix ans que je suis éducatrice spécialisée.

Cela fait huit ans que je travaille dans un Foyer d’Accueil Médicalisé (FAM). Les conditions de travail dégradées, je ne vois que ça, c’est presque mon quotidien. Mais jusqu’à quand ? Jusqu’où ? C’est mon principal questionnement, c’est ma principale peur.
Quand je dis que je travaille avec des personnes handicapées et polyhandicapées, on me dit toujours « oh lala ça doit être difficile » ma réponse est toujours, toujours, la même : « le travail, non, il n’est pas difficile, mais les conditions, oui, elles sont difficiles. J’aime mon travail, je n’aime pas les conditions dans lesquelles je travaille et surtout comment on me demande de travailler ».
Ces conditions dégradées finiront-elles par réellement mettre en danger la santé des personnels qui travaillent ? Et ne commencent-elles pas déjà, petit à petit, à dégrader la prise en charge des personnes que l’on accompagne ?
Oui, parce que le travail en mode dégradé devient presque mon quotidien depuis plusieurs mois. Il en résulte des épuisements professionnels, des burn-out ou des démissions. La réponse étant toujours qu’il n’y a pas de personnels remplaçants. Personne ne veut venir travailler dans le médico-social et dans un FAM encore moins, alors dans un FAM ayant très peu de moyens et un plateau technique limité, je vous laisse imaginer que ça ne se bouscule pas au portillon.

Le plaisir au quotidien …

Et pourtant, j’aime mon travail. J’aime mes collègues. J’aime les résidents que j’accompagne tous les jours. Ah les résidents, heureusement qu’ils sont là… oui je sais, ça fait cliché ! Mais, pour qui on continuerait si ce n’était pas pour eux ? Pour entendre une phrase comme « ah tu reviens enfin de vacances, tu nous as manquée » ou « ah t’es là, ouf on est sauvés ». Oui, être éduc c’est parfois recevoir des coups ou des postillons, mais c’est aussi et souvent recevoir de l’amour. Oui, de l’amour ! Oh ce mot dangereux que j’ose écrire… mais c’est vrai. Il y a des personnes, des situations, des moments, des phrases, des rires qui restent à jamais gravés. Et oui, on fait surtout ça pour ça. Enfin moi en tout cas, c’est ce qui me sauve au quotidien. Les rires avec les personnes qu’on accompagne, les fou-rires entre collègues, les après-midis à faire des crêpes, les discussions autour d’un thé à la menthe ou d’un café, les musiques bien pourries à fond, les impros en danse qui ne ressemblent à rien… tout ça, cela sauve un quotidien. Un quotidien lourd et de plus en plus lourd. Je ne parle pas du covid, qui a alourdi notre travail au quotidien… je parle bien des conditions de travail.

… gâché par la précarité

À ce jour, les salariés en cdi et cdd, enchaînent les journées en ayant espoir à chaque fois d’être un nombre suffisant, pour permettre une prise en charge adaptée et surtout correspondant à ce qui est écrit dans le projet d’établissement ou même dans les Projets personnalisés des Personnes accueillies.
La seule variable d’ajustement que l’on nous propose : les coupures. Doit-on s’en réjouir, d’avoir une solution qui non seulement va pourrir nos vies personnelles mais en plus nous ruiner ? Sans salle de pause dans l’établissement, où faire les coupures ? Rentrer chez soi, au prix de l’essence actuellement, ne pas être chez soi le matin et le soir…
Ah la qualité de vie au travail, c’est joli dans les textes, ça prend plein de place… ! Mais dans la réalité, elle est où ? Quand on est épuisé, fatigué, quand les maux de dos ou les migraines viennent simplement du fait d’en avoir plein le dos des conditions de
Travail … C’est sûr que le médico-social ne rapporte d’argent, et encore moins un FAM. Nous ne sommes ni une marchandise à vendre, ni une jolie vitrine. Cependant, il faut faire toujours plus pour avoir la plus jolie vitrine. Faire toujours plus, en ayant toujours moins.
Notre foyer fonctionne toujours, presque de manière autonome et même en effectif
réduit. Mais jusqu’à quand ? Jusqu’à ce qu’il y ait une erreur ? Un problème ?
Des professionnels fatigués, épuisés et en sous-effectif peuvent-ils prendre continuellement les bonnes décisions ?
Aujourd’hui la population du FAM est vieillissante, des personnes sortent d’hospitalisation et sont renvoyées sur l’établissement, alors que certains jours nous n’avons ni médecin, ni infirmière, ni aide-soignante… mais un protocole de soin à mettre en place.
Quelle peut être la prise en charge lorsque les équipes n’ont pas le savoir, les capacités ou même le droit de faire ? L’équipe fait au mieux, improvise, s’adapte, mais encore une fois jusqu’à quand ? Jusqu’à l’erreur ?

Rester pour les plus fragiles

Moi je suis éduc, tout ce que je sais faire au FAM je l’ai appris sur le tas. Avec mes collègues infirmières, mes collègues aides-soignantes, mes collègues aide médico-psychologique… oui elles m’ont appris le travail. Parce qu’en école d’éduc j’avais fait une 1/2 journée sur le travail en FAM. Alors le travail, c’est elles qui me l’ont appris. Elle et les personnes dont on s’occupe. Oui, parce qu’au quotidien on est une bonne équipe, on bosse bien, les résidents sont heureux, on est efficaces et suffisamment fous pour créer une bonne ambiance tous les jours. Créer une bonne ambiance, tous les jours… ou presque… faire au mieux.
Parce qu’en fait, je travaille au quotidien et des fois je regarde mes convictions profondes s’éloigner de ma pratique. Je ne veux pas, mais je ne peux pas faire autrement, des fois je n’ai pas le temps, nous n’avons pas le temps... Alors on fait au mieux, toujours. Mais des fois aussi on regarde sa collègue et on se dit qu’elle aussi n’est plus tout à fait celle qu’elle était il y a quelques mois. En tout cas certains jours…
En parler, à qui ? À la direction ? Non on préfère se taire, plutôt que de s’entendre dire toujours les mêmes réponses : pas le budget, vous y arrivez, c’est votre travail… Des fois on parle quand même et on entend encore des promesses qu’on a déjà entendu cent fois… y croire, quand même un peu, à chaque fois… et finalement être désabusé encore plus à chaque fois.


LS 1320-21 - Souffrance dans le travail social • Plonger ou rebondir ?