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► LE BILLET de Vince • « Pas là par hasard », vraiment ?

De vous à moi, je dois bien avouer que je ne sais pas trop ce qui m’a conduit vers le métier d’éduc.
Le premier truc qu’on m’a dit en formation (c’est un grand classique introductif des filières sociales) c’est : « vous n’êtes pas là par hasard ». Bien. Alors cherchons quel déterminisme social a bien pu me pousser sur les bancs de l’école d’éducs. Au secours Bourdieu ! Eclaire-moi !
Une vocation ? Je ne crois pas. Pour dire la vérité, j’ai même le souvenir d’une enfance et d’une adolescence à tendance plutôt misanthrope. J’ai toujours eu peur d’aller vers les autres. Timide, maladroit socialement, sans doute même un peu farouche et parfois carrément sauvage. J’adorais me repasser la face A du vinyle « antisocial » de Trust en boucle dans ma chambre, solitaire et taiseux. Lorsque, au restaurant, mes parents me demandaient d’aller réclamer une carafe d’eau au serveur, je m’arrangeais toujours pour missionner mon petit frère, bien plus téméraire. J’avais peut-être déjà une âme de chef cela-dit.
Une logique systémique ? Non non, ni ma mère ni mon père ne sont issus du secteur social. Mes grands-parents non plus. Je n’arrive même pas à identifier une figure d’attachement, familiale ou amicale, qui aurait pu infléchir ma destinée.
Une rencontre capitale ? Aussi loin que ma mémoire puisse me permettre de réfléchir, il ne me semble pas avoir croisé quelqu’un qui aurait eu une telle influence sur mon parcours. Je suis peut-être dans le déni. Il me faudrait quelques séances de psychanalyse pour creuser cette piste.
Le conseiller d’orientation ? Encore moins ! Après mon Bac, je me suis (é)garé en Fac, comme beaucoup de jeunes de ma génération, en attendant de savoir ce que je voudrais faire plus tard. Deux ans de perdus ? Je ne crois pas. Deux ans de maturation inconsciente, de fêtes étudiantes en fréquentations ponctuelles des amphis. A l’époque n’existait pas la complexité algorithmique de Parcours Sup. On choisissait là où on voulait zoner et ne rien foutre. C’est durant ces deux années d’errements manifestement utiles que j’ai décidé de passer le concours d’éduc. J’avais lu une fiche Onisep je crois qui, à défaut d’avoir déclenché une révélation, avait pour le moins éveillé ma curiosité.
Je me suis dit « 3 ans d’études, ça va, c’est raisonnable », moi qui avais toujours surfé sur mes facilités pour cheminer scolairement et qui n’envisageais pas de consentir à plus d’efforts. J’ai passé et réussi le concours en 1995, un peu en touriste décomplexé.
Entré sur un malentendu donc ? Peut-être finalement. Quand tu vois que le destin peut tenir à une simple fiche Onisep et à la loterie d’un concours, tu te dis que la réussite est finalement à portée de tous, même des moins laborieux. Enfin bon, malgré tout, j’avais manifestement pris la place d’un candidat plus méritant que moi et qui galérait sans doute depuis des années en s’acharnant sur ce concours alors que lui il avait bien une maman assistante sociale et qu’il s’appliquait depuis des années à se forger une expérience en animation.
Oui Bourdieu, éclaire-moi ! Pourquoi moi ? Pourquoi pas lui ? C’est injuste, non ?
Il a peut-être réussi son concours depuis, je lui souhaite. Toujours est-il que moi je suis travailleur social depuis 24 ans et j’aime follement ce métier. Alors au diable la culpabilité liée à la légitimité puisque, comme me l’ont répété tous les formateurs, « je ne suis pas là par hasard  ». Je cherche encore.