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► LE BILLET de Vince • La loi des séries

Seize ans et déjà rodé à toutes les ficelles de l’éducatif, Joachim a un nouvel éduc. Un de plus. Il les a enchaînés comme on consomme les saisons d’une série Netflix. Entre dépendance hypnotique et abrutissement, il n’a raté aucun épisode de la Protection de l’Enfance. De la pouponnière à la Maison d’Enfants, en passant par quelques familles d’accueil et autres prises en charge éducatives, Joachim en a bouffé des heures d’entretiens, de projets personnalisés, de séances avec le psy, de recadrages chez le chef de service, de synthèses, de bilans, d’accompagnements. Son parcours est devenu lui-même aussi banal et monotone qu’une énième rediffusion de La Petite Maison dans la Prairie.
On n’y prête d’ailleurs plus attention. Joachim encaisse les échecs et les désillusions comme Charles Ingalls coupe du bois. Une sorte de routine quoi, depuis des années, inlassablement. La vie de Joachim s’affiche comme un feuilleton indémodable malgré la désuétude des scènes.
Son père avait lui-même déjà joué dans un premier opus intitulé DDASS (Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales), acteur confirmé du lien familial perturbé.
Joachim se serait sans doute bien passé de cet héritage culturel. Bizarrement, malgré les tentatives d’influence systémique du psy de l’institution, il ne connaît d’ailleurs pas grand-chose de la filmographie tragique de son père.
Chaque année, sans comprendre pourquoi ni comment, il endosse son rôle de cassoc’ ou d’incasable. L’équipe éducative zappe toujours sur la chaîne où Joachim fait évoluer son personnage au gré de scénarios risqués et improbables. Les pros décortiquent les images, analysent le jeu d’acteur, tentent d’imaginer la fin de l’histoire.
Et chaque début d’année ils souhaitent le meilleur à Joachim, bien résolus à ne pas céder à la fatalité d’un synopsis décourageant. Autour d’une galette sur le groupe, Joachim n’échappe pas à la fameuse question « alors, qu’est-ce qu’on te souhaite pour cette nouvelle année ? ».
Si seulement Joachim pouvait répondre à cette question ! Mais demande-t-on à un comédien de décider du sort d’une adaptation ? Non. Il est là pour jouer. Il joue. Dans le dur, dans le mal, dans le flou, dans l’incertitude et dans le doute. Il tente tant bien que mal de faire confiance au réalisateur qui le guide.
Je ne voudrais pas spoiler la chute de la série, mais je peux tout de même vous dire que ça se terminera mal, si on pense que c’est à l’acteur qu’incombe l’entière responsabilité de l’évolution du scénario. Je sais bien que c’est très à la mode de vouloir « rendre acteur » mais je fais partie de ceux qui croient qu’il vaut mieux souhaiter à un gamin d’être scénariste plutôt qu’acteur. En principe, ceux qui écrivent l’histoire la dirigent.
Alors pour cette nouvelle année cher Joachim, je te souhaite, ainsi qu’à tes camarades de foyer, de devenir scénariste et réalisateur, de passer de l’autre côté de la caméra, de ne plus subir la loi des séries où tu te contentes de jouer des scènes écrites par d’autres.



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