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► LE BILLET de Vince • Alprazolam Team

Après 23 ans de bons et loyaux services dans la protection de l’enfance, je viens de recevoir ma première ordonnance d’anxiolytique ! La consécration, enfin ! Je ne suis pas peu fier de faire partie de la confrérie des éducs au bout du rouleau. Jusqu’à présent, je fréquentais quelques membres de ce club sans comprendre vraiment le fond de leur philosophie. Au fil du temps, je me suis senti de plus en plus proche d’eux, jusqu’à être franchement concerné par leurs préceptes. Aujourd’hui on reconnaît que je suis apte à l’inaptitude et ça, croyez-moi, c’est une sacrée reconnaissance pour moi ! Pouvoir entrer dans cette belle famille des névrosés du travail social : l’ambition ultime.
À l’instar d’un artiste récompensé pour son oeuvre, je tiens ici à adresser de vifs remerciements (en espérant n’oublier personne) :
Merci aux politiques publiques tout d’abord, celles sans qui l’avènement des notions de rentabilité, de marchandisation ou d’ubérisation de l’action sociale seraient tout simplement impossibles.
Merci aux dirigeants de nos institutions qui ont su parfaitement s’adapter aux logiques de marché, d’appels à projets, de mise en concurrence des associations, dans un contexte pas toujours simple pour juguler les velléités de changement de paradigme.
Merci à Nexem et consorts pour leur engagement entier dans une lutte contre les valeurs humanistes et contre un idéal social de bisounours.
Merci à la CFDT qui a courageusement signé l’accord de revalorisation du point de la Convention Collective 66 de 2 centimes, dans un magnifique pied-de-nez aux acteurs de terrain.
Merci aux inventeurs des contrats à impact social, aux évaluateurs de tous poils aguerris aux indicateurs statistiques, aux variables d’ajustement, aux prix de journée, à la tarification à l’acte.
Merci à Sérafin, au Ségur et à Laforcade, les trois mousquetaires du mépris.
Merci aux stagiaires non gratifiés, aux coordinateurs exploités, aux faisant-fonction divers et variés pour leurs vocations.
Merci aux grilles d’éval, aux calculatrices, aux tableurs Excel, aux dossiers Cerfa, aux logiciels d’exploitation de données.
Merci aux réformateurs de la justice des mineurs, de la protection de l’enfance, de la pédopsychiatrie, de l’insertion sociale, du handicap, qui ont su magistralement faciliter la perte de sens de nos métiers.
Mercis aux injonctions paradoxales, aux véhicules de services déglingués, aux scrupuleux inventaires de fournitures, aux budgets serrés.
Merci aux usagers, qui n’auront jamais aussi bien porté leur nom, pour les qualités marchandes qu’ils développent malgré eux.
Merci à mon médecin pour l’arrêt de travail qui me permet de savourer mon titre aujourd’hui.
Merci à tous ceux qui sauront lire dans le cynisme de ce billet, une colère légitime.
Merci à tous ceux qui manifesteront le 7 décembre prochain.