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► LE BILLET de La Plume Noire • Oui, je t’autorise à intervenir dans ma vie


Vanessa Salon, éducatrice spécialisée de son état, hurle. Embauchée depuis trois jours, quand un enfant fait un pet de travers, elle n’a de cesse de s’égosiller. Lorsqu’elle crie, joignant le geste à la parole, tout son corps se rigidifie. En une parfaire rectitude, elle fige la scène, illustrant par là-même tout l’immobilisme de sa posture éducative. Le buste droit légèrement en avant, les jambes serrées, la main gauche plaquée derrière son dos, seule la main droite l’index pointé bouge au bout de son bras tendu en direction de l’enfant.
L’enfant - untel ou untel, ici son nom importe peu tant la Vanessa n’est pas très regardante sur l’enfant à qui elle destine ses hurlements - baisse la tête, se soumet, et se demande qui est cet ostrogoth qui débarque dans sa vie pour s’autoriser, seule en concertation avec elle-même, à lui crier dessus en postant son visage à quelques centimètres du sien.
François Durand éducateur spécialisé de son état, en reste également bouche bée. C’est sa première soirée avec la nouvelle collègue.
Un peu plus tard l’olibrius s’adresse à l’éducateur :
- Tu vois, moi, j’ai bossé dix ans en ITEP et là-bas les enfants c’est une autre paire de manches que ceux de cet « home d’enfants. » En ITEP, j’ai appris une chose : il faut s’imposer dès le départ. J’ai l’habitude. Après, ils se tiennent à carreaux. Et puis de toutes façons si tu ne t’imposes pas dès le départ, ils te bouffent.
- Du coup tu préfères les bouffer toi.
- Pardon !?
- Non rien je déconne.
- Tu veux dire quoi exactement ?
- Tu penses que c’est nécessaire de crier comme ça ?
- Tu sais, c’est un classique, comme je viens d’arriver, ils me testent. Alors, ils doivent comprendre que je ne suis pas leur copine. Bon, ce n’est pas tout mais je termine dans un quart d’heure et je dois remplir le cahier de liaison. Au fait, j’ai puni « untel ou untel » de télévision pour la soirée de demain. Comme je ne serai pas là car je ne bosse pas, merci de veiller à ce que la punition soit respectée. Tu seras là toi ?
- Oui.
- Parfait, bon j’écris quand même tout ça pour les autres collègues et je file.
- Merci du cadeau.
- Pardon !?
- Non rien je déconne.

Vous en connaissez beaucoup des boulots où à peine débarqué vous pouvez en très peu de temps, sans connaître ni rien ni personne, crier et sanctionner ? « Surveiller et punir », dirait ce bon vieux Michel (1).
Les enfants ne testent pas les professionnels. Ils cherchent juste à savoir à qui ils ont affaire. La société leur envoie quelqu’un pour s’occuper d’eux, alors, à leur manière, ils interrogent sa légitimité dans la mesure où ils n’ont guère le choix de qui débarque.
Vanessa, elle, puise sa légitimité dans son DEES (2) et son contrat de travail, tous deux donnés par la société. Cela lui suffit pour se revendiquer éducatrice. Par là même, elle en oublie la principale. La légitimité donnée par le public. Celle qui dit « Oui, je t’autorise à intervenir dans ma vie ».


(1) Surveiller et punir, Michel Foucault
(2) Diplôme d’État d’éducateur.trice spécialisé.e



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