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► LE BILLET de La Plume Noire • Les verrous de l’inceste

François Durand, éducateur spécialisé de son état, et Alexandra Dupont, assistante de service sociale, voient l’inceste partout. Cela dit, il est partout. Tout simplement du fait que l’inceste, symboliquement, c’est avant toutes choses déposséder l’autre de sa parole. Et des enfants qui se taisent, en Assistance Éducative en Milieu Ouvert, Alexandra et François en rencontrent tous les jours. Il y a ceux qui se taisent car on le leur demande, et ceux qui se taisent sans même qu’on le leur demande. C’est induit, né sous inceste. « Tu ne parleras point ». Ainsi, c’est le silence qui fait loi. Drôle de paradoxe car la loi est en principe là pour faire émerger la parole, essence même de notre humanité. Briser ce silence qui fait loi, par la parole. Voilà à quoi nos deux acolytes s’attèlent. Ils interviennent dans des situations incestueuses, incestuelles, ou les deux, et tentent de faire émerger cette parole libératrice. Parfois, un enfant parle, avant ou pendant leur intervention « J’en ai assez que Tonton saute sur mon lit, qu’il me regarde quand je prends la douche, qu’il fasse caca par terre dans ma chambre  ». Parfois c’est le corps qui parle, un évènement qui échappe, un bout de carton coincé dans le vagin d’une fillette de huit ans. Un fécalome chez une autre fillette de dix ans qui refuse les soins par voie anale. Cette autre fillette qui dit que son père « lui met la main dans la culotte ou qu’elle a envie de vomir quand papa lui entre le zizi dans la bouche  ». Il y a l’incesteur et ceux qui se taisent qui le protègent et intiment à l’enfant de ne rien dire. C’est cette mère qui déclare « Mais vous savez, il ne peut rien arriver à ma fille, je suis toujours avec elle, tout le temps, rien n’a pu se passer sous ce toit  ». L’inceste est bien verrouillé. Quand l’enfant parle, sa parole est prise en compte, par un juge, un officier de la brigade des mineurs. Mais l’enfant a parlé comme et quand il a pu. A nouveau devant ces « officiels » installés derrière leurs bureaux, à côté de papa et maman, l’enfant se rétracte et l’affaire se classe. Oui, l’inceste est bien verrouillé. Et puis, ces histoires ça dérange tout le monde, c’est troublant, c’est dégueulasse, et puis surtout ça n’arrive qu’aux autres. Les travailleurs sociaux ne veulent pas se rappeler cet oncle qui avait eu ce geste déplacé lors de ce repas de famille, ce cousin qui se montrait insistant ou ce grand-père qui faisait irruption dans la salle de bains. Ce refoulement, personne, ni le juge, ni l’officier de la brigade des mineurs, ni l’éducateur spécialisé, ni l’assistante sociale, ni le professeur, …, n’y échappe. Alors, quand l’enfant se tait après avoir parlé, ce silence se veut apaisant.
Oui, bien huilés sont les mécanismes des verrous de l’inceste.