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► LE BILLET de La Plume Noire • Le tableau de mise de table

Qu’on se le dise, en Maison d’Enfants à Caractère Social se trouve un support, qui à défaut d’être instituant est grandement établi, c’est le tableau de mise de table.
Le tableau ! Une idée de génie qui perdure depuis des lustres dans la profession censée pallier à la difficulté que rencontre tout adulte lorsqu’il demande à un enfant de mettre la table :
- Kimberley, tu mets la table s’il te plaît.
- Pourquoi ?
- Ben parce que c’est inscrit sur le tableau.
- Ah, bon d’accord, j’y vais.
Non mais, c’est quand même fou de croire qu’un bout de papier sur un mur va remplacer un éducateur. Il ne peut pas lui imposer, l’éducateur, à l’enfant de mettre la table. Il ne peut pas lui interdire de regarder la télévision, afin de venir mettre la table. Oui, bon, mais c’est que ce tableau à une autre fonction. Il se veut équitable : tous les enfants mettront la table un même nombre de fois au cours de la semaine. Alors, outre le fait que la semaine compte sept jours et qu’il y a huit enfants sur le groupe, outre le fait que certains sont absents durant les week-ends et les vacances scolaires, outre le fait que certains ont des activités extra-scolaires, outre le fait des divers rendez-vous médicaux, outre les impondérables, et outre le fait que, ce soir, c’est à Sonia de mettre la table mais qu’elle ne peut pas car elle est malade et chez le docteur, alors François Durand, éducateur spécialisé de son état, demande à Kimberly de le faire et, là, la gamine, sourire aux lèvres, lui répond en tapotant sur le tableau « Non, non non, on est mardi, moi c’est le jeudi. » Oui, elle est comme ça Kimberley. Une emmerdeuse. Et en même temps, elle a tellement raison, «  Parle-moi, confronte-toi et arrête de me mettre dans une case ! » semble-t-elle dire. Autrement, se serait trop facile. Il n’y a qu’à mettre des mots pour tous les actes de la vie quotidienne. Au-dessus du lavabo : « Le brossage de dents doit durer 3 minutes  » ; sur la table : « À la fin du repas, merci de débarrasser la table » ; sur la tête de lit « Tous les matins, faites votre lit et rangez vos pantoufles. », « Vous allez être mis en relation avec un éducateur, si votre appel concerne un conflit avec un camarade, tapez 1. »
Non mais, ça va pas. N’est-il pas possible de la mettre ensemble la table ? Et puis tiens, ce soir, l’éducateur pourrait s’acquitter seul de cette tâche. Il poserait une belle nappe, baisserait les lumières, allumerait quelques bougies et pour accompagner le tout, en arrière fond musical, quelques nocturnes de Chopin. Histoire de créer une ambiance accueillante, feutrée, enveloppante, protectrice. Et puis cette histoire d’équité, c’est n’importe quoi, car la difficulté n’est pas tant de traiter tous les enfants de la même manière, ça c’est plutôt facile, non, la difficulté c’est bien de les traiter tous de manière différente.