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► LE BILLET de La Plume Noire • De l’autre côté du miroir

François Durand, éducateur spécialisé de son état, est secoué. Il vient de croiser un de ses anciens collègues. Ce dernier errait dans le parc de l’hôpital psychiatrique au sein duquel, François Durand, en voiture, se rendait à une réunion de travail. Arrivé à sa hauteur, l’éducateur s’était arrêté et avait baissé la vitre du véhicule, afin de le saluer. Jean-Pierre, c’est son nom, un peu interloqué, voire apeuré, s’était légèrement approché. François Durand a tout de suite vu que quelque chose clochait. Jean-Pierre est passé de l’autre côté du miroir. Il a décompensé. Ce collègue, avec qui il a travaillé pendant trois ans en Assistance Educative en Milieu Ouvert (AEMO), ne l’a pas reconnu :
-  Ah oui, c’est comment ton nom déjà ?
-  François.
-  Ah oui, François.
François était un peu gêné. Il ne savait que dire. Jean-Pierre oscillait d’un pied sur l’autre.
-  Et tu fais quoi ici ?
-  Je bosse.
-  C’est quoi ton boulot ?
-  Je suis éduc en centre médico-psychologique.
-  Ah, et on se connaît d’où déjà ?
-  De la Solidarité 13.
-  Ah…oui.
Jean-Pierre n’est pas seulement passé de l’autre côté du miroir, il est également passé de l’autre côté du travail : il n’est plus un professionnel, il est devenu un usager. La frontière entre les deux est des plus étroite se dit l’éducateur.
Il repense à cette fois, où à la Solidarité 13, il vit apparaître sur un dossier le nom d’une amie à lui. Une mesure d’AEMO venait d’être prononcée pour ses deux enfants. Et quand sa collègue suivait ses propres nièces, les filles de la sœur de sa femme. Et Saleha, cette amie de théâtre avec qui il boit régulièrement des coups, dont le fils est également suivi en AEMO. Et Cécile, chez qui il est intervenu pendant trois comme éducateur AEMO et qui est aujourd’hui son amie. Et que dire de Gilles, son ami d’enfance, infirmier, qui lui aussi a basculé.
Oui, la frontière est des plus étroite et nul n’est à l’abri et certainement pas les professionnels qui déclarent intervenir auprès de personnes en difficulté. Sous-entendu qu’eux ne le sont pas, en difficulté. Ils se placent dans une relation asymétrique, occupent la position haute, celle de l’aidant. Ce monde avec des personnes-en-difficulté d’un côté et des personnes de l’autre côté n’existe pas. Ne se trouvent que des personnes dans toute la splendeur de leur complexité humaine. Omettre ça, c’est effectivement privilégier une relation d’aide asymétrique dans laquelle le professionnel tient le beau rôle, mais c’est se priver de la relation éducative et de son corollaire, la rencontre de personne à personne.