L’Actualité de Lien Social RSS


► LE BILLET de La Plume Noire • Cousu de fil blanc

Enzo est un enfant adopté. Face à la mer, il regarde l’horizon. De l’autre côté, le continent sud-américain. Le regard dans le vague, il cherche à atteindre le Chili, ce pays où ses parents adoptifs l’ont plus ou moins acheté à ses parents de chair, un couple de toxicomanes. Dans l’incapacité d’avoir une gosse par voies naturelles, l’adoption s’était avérée une bonne option pour ces gens aisés et installés en terre outre-Atlantique. La mission du père terminée, ils sont retournés en France, avec Enzo, deux ans, qui à l’époque fait encore risette.
Les questions de l’enfant n’ont pas tardé à émerger. L’histoire n’est pas très claire et les parents acheteurs ne lui expliquent pas vraiment les raisons de l’adoption d’autant plus que très vite il n’a pas correspondu à l’enfant souhaité. Rongés par la culpabilité, dans l’incapacité de lui révéler qu’il est une solution de remplacement, dans l’incapacité de se l’avouer à eux-mêmes, ils ne trouvent pas les mots et se contentent d’entretenir la dette dans laquelle ils ont mis leur fils. Enzo l’accepte de moins en moins, il ne doit rien à personne. Il commence à dire merde au lieu du merci tant attendu par ces gens qui l’ont gentiment sorti de la merde. Si seulement la nature ne les avait pas privés du bonheur de concevoir l’être fantasmé.
Ingérable, Enzo est orienté en ITEP . Tout d’abord à la journée puis, comme le dispositif se révèle insuffisant, sur l’unité d’hébergement. D’enfant adopté, il prend dès lors le statut d’enfant porteur de troubles du comportement. L’équipe soignante/éducative établit son projet individuel. Ils n’omettent bien évidemment pas d’inclure les parents dans la démarche. C’est important car le couple ne s’investit pas assez, voire montre un désinvestissement patent à l’égard du petit chilien. L’investissement ne vient pas pour autant. L’équipe éducative/soignante insiste. Elle souhaite que ça marche, elle veut rétablir le lien, renforcer l’affection et l’attention que l’on est en droit d’attendre de tout parent. L’équipe ne perçoit pas que ces gens ont juste besoin d’un espace où exprimer le rejet de cet enfant et prise par son besoin de réparation, l’équipe, à défaut de penser, panse. Comme cela ne marche pas malgré tous les efforts tentés, la judiciarisation de la situation s’impose. L’ITEP se retire de la partie et un PAD prend le relais. La nouvelle équipe, elle aussi, panse. Le PAD se transforme en placement tout court. Enfant adopté, Enzo est maintenant un enfant placé toujours diagnostiqué porteur de troubles du comportement.
La nouvelle équipe, rebelotte. Les parents n’ont toujours pas la place pour exprimer leur rejet et la culpabilité qui va avec. Ils n’en ont pas le droit. Ils se doivent d’être présents pour leur fils.
À dix-huit ans, Enzo est sans projet. La protection de l’enfance le sort de ses tableaux Excel reproduisant par la même l’abandon originel tant de fois rejoué par les différentes équipes qui se sont succédées tout au long de sa courte vie.
Le regard dans la vague, face à la mer, Enzo souhaite remonter à la source pour comprendre ce que personne n’a su expliquer. Il regarde l’horizon. Un caoutchouc entre les dents il en saisit une extrémité de sa main droite pour confectionner un garrot autour de son bras gauche. Il tapote l’avant-bras. La veine tant attendue apparaît. Ne lui reste plus qu’à y planter sa seringue.


  1. Institut Thérapeutique Éducatif Pédagogique
  2. Placement à domicile

Archives :