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► LE BILLET de La Plume Noire • Body Snatchers

« Tu sais quoi ? Vu la pluie qui est tombée tout ce week-end, j’ai passé mon temps allongé sur mon canapé à regarder des films »
à la terrasse d’un café, François Durand et Alexandra Dupont, respectivement éducateur spécialisé et assistante de service social de leur état, taillent une bavette entre deux visites à domicile.
- Ah oui. Et tu as regardé quoi ?
- Pas mal de conneries, blockbuster et compagnie, mais le samedi soir j’ai visionné un film que j’avais déjà vu gamin « L’invasion des profanateurs » ; « Invasion of the Body Snatchers » en anglais. Un film de 1978, réalisé par Philip Kaufman.
- Et ça raconte quoi ce film ?
- Je n’ai pas pu m’empêcher de faire le parallèle avec notre boulot.
- Tiens donc ? ça y est te voilà à nouveau parti dans tes délires.
- Non, non je t’assure. L’invasion des Body Snatchers, nous raconte l’histoire d’entités extra-terrestres qui débarquent sur terre pour, en quelques sortes, s’approprier l’humanité. Ces monstres prennent possession des humains et en font des êtres dans l’incapacité de ressentir des émotions, d’éprouver des sentiments. Et le plus drôle dans l’histoire c’est que pour ne pas être repérés, les humains n’ont pour seul moyen que de taire ce qu’ils éprouvent et ce qu’ils sont. Plus le droit d’être toi-même.
- Et ?
- Tu sais comme moi depuis que tu as lu ce bon vieux Philippe et son Frankenstein (1) que le principal risque en éducation est cette pulsion qui nous pousse à conformer l’autre à notre propre volonté…
- Continu, tu m’intéresses…
- … et que les travailleurs sociaux, dans le diktat des codes sociaux, au prétexte de « Socialisation » ne cessent de poser un cadre qu’il convient de ne surtout pas dépasser. C’est bien connu, un Zéduc, sa première action lorsqu’il débarque quelque part c’est de regarder, d’observer, d’évaluer. Ensuite, dans la foulée, il pose un cadre.
-  Oui, l’archétype étant le Zéduc qui crie pour instaurer cet état de socialisation. Après, satisfait, il prend une pause pour boire quatre cafés, fumer trois cigarettes et retourne sur scène.
- Caricatural mais j’y souscris. Effectivement nous trouvons plusieurs avantages au cadre posé. Le premier, c’est que tout d’abord, si ça déborde, ben, le Zéduc, il recadre. Deuxième avantage, c’est qu’une fois le cadre posé, cela lui permet au Zéduc à l’intérieur de ce cadre de mettre en place tout un tas de dispositifs et de définir les places de tout un chacun au sein de ces dispositifs. Le Zéduc, « il pose un cadre » et « il met en place ». Ainsi, en confondant socialisation et éducation, il empêche l’autre d’être lui-même. Il en prend un peu possession.
- Une belle bande de Body Snatchers en somme ces Zéducs. C’est bien ça mon cher François ?
- Tout à fait belle Alexandra.


(1) Frankenstein Pédagogue, Philippe Meirieu