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► LE BILLET de Jacques • Combien faudra-t-il de drames encore, pour que cela change ?

Le 9 janvier 2022, le corps sans vie d’Anthony, âgé de 17 ans, a enfin été retrouvé. Il avait disparu le 31 décembre, après avoir été placé par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) de Saône et Loire dans un camping à Lugny. Il y côtoyait d’autres jeunes eux-mêmes en grande difficulté, qui seront retrouvés en possession des bijoux du jeune-homme et de sa carte SIM … Une association réclame la vérité (page Facebook : "la vérité pour Anthony").
Toute mort d’un adolescent est une mort de trop, parce que c’est la vie qui s’ouvrait à lui et non une fin précoce. Et le décès d’un mineur en danger, alors qu’un service dédié est sensé le protéger, est sans doute encore plus insupportable. Monte, alors, la colère incitant à se retourner contre le service chargé de ce suivi et à l’accuser de complicité, par manque à son obligation de moyens. Car, chacun conviendra qu’un « camping » est un lieu particulièrement adapté, pour placer des enfants de l’ASE, livrés à eux-mêmes !
Pour autant, sachons raison garder.
Rappelons d’abord que la protection de l’enfance gère 220 000 mineurs et jeunes adultes et qu’il serait abusif de considérer le sort d’Anthony comme représentatif du fonctionnement de plus de la centaine de service de l’Aide sociale à l’enfance de notre pays. Pour autant, il n’y aurait que cette seule mort, elle n’en serait pas moins intolérable. Comment la comprendre ? Certes, les conditions de ce placement ne sont pas connues. Mais ce qui l’est, ce sont les alertes systématiquement lancées par les professionnels, un peu partout, qui trouvent ici un terrible point d’orgue : combien faudra-t-il encore de drames, pour que les autorités de ce pays réagissent ? Le quotidien des référents et des cadres intermédiaires ASE peut être comparé aux dérives des Urgences hospitalières. Ici, s’accumulent les patients sur des brancards, en raison de la pénurie de places d’hospitalisation en aval. Là, le souci n’est plus de trouver un lieu d’accueil adapté, mais un lit pour la nuit qui vient. Des foyers d’urgence ? Il n’y a plus de places ! Les familles d’accueil ? Il n’y a plus de places ! Des Maisons d’enfant à caractère social ? Il n’y a plus de place ! Des Lieux de vie et d’accueil ? Il n’y a plus de place ! Alors, on prend ce qu’on a sous la main : des chambres d’hôtel, des gîtes d’enfants … des campings. On espère que ce sera provisoire. Mais, le temporaire se prolonge, car de nouvelles urgences arrivent chaque jour. Et chaque jour, il faut trouver de nouvelles solutions… qui manquent ! Un peu partout, dans les départements, les dispositifs ASE sont submergés, frôlant parfois le chaos : quand on y écope trois seaux d’eau qui affluent dans la barque, il en entre cinq !
Il ne s’agit pas, ici, de dédouaner par principe quiconque, ni en ce qui concerne la mort d’Anthony, ni dans les (dys)fonctionnements potentiels des différentes ASE. Des erreurs, des imprudences, des négligences ont pu été commises là (et le sont ailleurs). Mais, il faut surtout constater la dramatique pénurie de lieux d’accueil pour les mineurs en danger qui aggravent encore plus les problèmes déjà existants …et d’en appeler à un véritable plan Marshall, pour créer massivement des places.
Les professionnels qui travaillent à l’ASE se désespèrent. Certains se mettent en arrêt maladie. D’autres démissionnent. Des postes peinent à trouver des candidats. A peine pourvus, ils sont très vite, à nouveau vacants. L’explication est rapide à trouver : l’engagement initial est dévoyé et trahi. On rêvait de protéger l’enfance en danger ? On devient, à son corps défendant, complice d’une maltraitance institutionnelle !
Mais, pour douloureux qu’il soit, le vécu des professionnels ne peut d’aucune manière être comparé avec celui des enfants victimes qui voient leur souffrance parfois décuplée. Une situation de danger a rendu nécessaire une séparation d’avec leur milieu naturel. Ils sont confiés à un dispositif mandaté, pour leur garantir des conditions de vie permettant de grandir et de s’épanouir dans les meilleures conditions. C’est ce qui se passe le plus souvent. Mais, il arrive que l’ASE les expose à de nouveaux dangers qui peuvent s’avérer … mortels. Un comble !

Jacques Trémintin


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