L’Actualité de Lien Social RSS


► Plonger et rebondir : l’intégrale - Tenir la barre ou passer par-dessus bord ?

Lien Social a consacré son numéro 1320/1321 aux questionnements qui traversent une action sociale en pleine crise. À la marchandisation, la rigueur budgétaire et perte de sens … répondent l’épuisement, prise d’initiative, réactivité, créativité et dynamisme. « Plonger et rebondir » a reçu près d’une cinquantaine de contributions, mais n’a pu en publier qu’une vingtaine. L’occasion de présenter sur notre site certaines des contributions que le lecteur n’a pas retrouvées dans la revue.

LS 1320-21 - Souffrance dans le travail social • Plonger ou rebondir ?



Par Caroline LUCAS, éducatrice spécialisée

Une partie de l’équipage a quitté le navire, y compris le capitaine qui a pris le large pour rejoindre un paquebot, il y a quelques mois.
Le bateau de la Réussite Éducative navigue depuis, comme il peut, à effectif réduit.
La période du premier confinement avait, je trouve, été salvatrice. Une bonne pêche pour le matelot que je suis, pas tant en quantité mais plutôt en qualité. Passer à une vitesse de croisière offrait le temps de réfléchir et de mieux penser mon action. L’absence momentanée de présence physique auprès des personnes accompagnées avait permis d’aiguiser mon sens de l’écoute et d’ajuster mes actions. Face cette situation nouvelle et inattendue, j’ai réveillé ma créativité, réinventer ma pratique pour poursuivre l’action éducative engagée.
En septembre 2020, il a fallu reprendre un rythme plus effréné que celui d’avant, comme s’il fallait récupérer un temps perdu, avec des contraintes plus fortes.
Vite, vite, aller encore plus vite, passer de 20 à 40 nœuds sans se préoccuper de l’état de la mer et de l’équipage !
Pêcher toujours plus, encore plus loin jusqu’à l’épuisement même des ressources marines. Faire avec les moyens du bord !
Ce type de navigation a eu des répercussions. Certains matelots de mon équipage ont eu le mal de mer, certains sont passés par-dessus bord, d’autres ont rejoint la terre ferme, et d’autres encore ont décidé de naviguer sur d’autres bateaux.
Je m’étonne après cette traversée de houle d’être encore sur le pont, d’avoir les yeux toujours fixés vers l’horizon et de garder confiance ! Il y a quelques années cette tempête m’aurait mise à l’eau.
Oui, moi aussi j’ai connu le creux de la vague. J’étais, il n’y a pas si longtemps, un marin à la dérive qui avait perdu le goût de la mer. J’ai pensé que d’embarquer sur un autre navire de meilleure qualité, avec un autre équipage, un autre capitaine, changerait les choses. J’ai pensé également que de devenir commandant de bord serait la solution. Mais force est de constater que le mal de mer revenait rapidement.
Il a fallu que je revienne à une simple barque, que je navigue seule dans des eaux inconnues, que je retrouve des gestes de base du moussaillon pour retrouver le goût de la navigation ! Ah qu’il est bon d’entendre ce clapotis de l’eau qui m’apaise, Ah qu’il est bon de sentir l’iode qui me vivifie,
Ah qu’il est bon de regarder et scruter l’horizon qui m’invite à aller plus loin, Ah qu’il est bon de hisser cette voile pour faire avancer ma barque.
L’envie est revenue de repartir sur une plus grande embarcation avec d’autres matelots. Rechercher et revenir encore et encore à ce qui me fait vibrer, écouter finement ma météo du jour, jeu que proposait mon responsable à chaque début de réunion, pour adapter ma vitesse de navigation quitte à être à contre-courant !
Un bon matelot sait bien qu’un bateau ne navigue pas de la même manière par temps calme ou temps agité !
J’ai une envie d’une pause thé- carré de chocolat dans ma journée de travail, je me l’accorde et je savoure ce qui réchauffe et me réconforte. Je prends le temps de faire la tournée des bureaux pour bavarder de choses et d’autres avec des collègues et ensoleiller le début de ma journée. Dans les moments de turbulences, Je chantonne un petit air de musique qui m’encourage et me redonne le sourire « …Tiens bon la vague et tiens bon le vent. Hissez haut ! … ». Après une navigation éreintante, je sais jeter l’ancre et profiter de l’escale qui m’est offerte comme cette semaine de vacances passée en Bretagne.