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Par Youssef El Masoudi, éducateur de prévention en Master 2.

Les éducateurs de prévention sont confrontés à un pari que certains d’entre eux ont déjà réussi à relever : la sociabilité numérique juvénile.

En 2009, moins de la moitié des jeunes âgés de 12 à 19 ans équipés d’un téléphone portable possédaient un smartphone. Aujourd’hui, ils sont 97 % et ils n’utilisent plus prioritairement leur appareil pour téléphoner, mais davantage pour écouter de la musique ou accéder à internet. Ainsi, d’une utilisation par les adolescents de la Toile quasi invisible pour l’éducateur de rue, nous sommes passés, avec la prolifération des téléphones mobiles, à une hypervisibilité de cette pratique. Désormais, les jeunes se connectent partout où il existe du réseau. Cette hyperconnectivité inquiète, questionne et embarrasse les professionnels. Quelles postures adopter face à l’émergence de ces pratiques numériques envahissantes ? Comment gérer le smartphone des jeunes lors des temps d’activités ? Faut-il aller à leur rencontre sur les réseaux sociaux ? Face à ces questions complexes, les éducateurs éprouvés bricolent des réponses singulières et temporaires. Cet article propose de mettre au jour certaines d’entre elles afin de faire avancer le débat concernant les outils numériques dans la relation éducative.

Eprouvant portable
La première pratique éprouvée par les usages numériques des jeunes est le travail de rue. C’est d’ailleurs à partir de cette dernière que débute la majorité des relations éducatives en prévention spécialisée. Depuis quelques années, sur ces espaces-temps, les professionnels sont confrontés à des adolescents utilisant leur portable en permanence. Dans ce contexte, avoir leur attention afin de discuter avec eux devient une épreuve. Face à la puissante attractivité du smartphone, certains éducateurs, qui arrivent en proposant une simple discussion, ont peu de chances de capter durablement l’attention de leur public. De plus, cette priorité attentionnelle accordée aux écrans irrite ces professionnels. Elle symbolise pour eux la déshumanisation qu’engendre la multiplication des outils technologiques. Par conséquent, certains éducateurs refusent d’utiliser ces nouveaux outils dans leurs pratiques.


En revanche, d’autres éducateurs agrémentent leur action de cette communication 2.0 qui plaît tant aux adolescents. Cette approche hybride dynamise leur travail et le rend plus attractif. Par exemple, en allant sur Snapchat, ils vont à la rencontre des jeunes ou plutôt ils partent de là où est leur attention, pour la ramener vers eux et leur activité. Ainsi, d’une communication intermédiée avec eux, ils arrivent à créer des temps de rencontres physiques. L’outil numérique n’est plus envisagé uniquement comme une barrière mais aussi comme une éventuelle passerelle.

Attention dispersée
Les jeunes utilisent leur smartphone dans la rue mais également lors des temps d’activités collectives que leur proposent les éducateurs. Cet usage n’est pas sans poser de difficultés aux professionnels. En effet, en même temps qu’ils participent à l’activité principale, les jeunes effectuent d’autres tâches. Autrement dit, ils pratiquent la pluriactivité et cela bouleverse les normes et les règles sociales sur lesquelles les éducateurs avaient l’habitude de s’appuyer pour animer leurs activités. L’attention des adolescents est dispersée et leur engagement s’en trouve diminué. Ainsi, ils transgressent une règle sociale chère aux éducateurs, celle d’accorder l’entièreté de son attention à l’activité principale que l’on entreprend. De plus, l’intervention des éducateurs pour réguler l’utilisation du portable génère régulièrement des conflits tant les jeunes sont attachés à leur objet. Face à cette difficulté, certains professionnels ont fait le choix d’intégrer le smartphone dans la conception même de l’activité. Par exemple, certains vont l’utiliser avec les jeunes pour réaliser un atelier photo, écouter de la musique ou bien effectuer des recherches d’informations sur internet. Cette pratique crée une culture commune entre les jeunes et les éducateurs, favorisant ainsi le rapprochement autour d’une dynamique partagée.

La totalité de cet article est à retrouver dans Lien Social n°1260 du 29.10.19

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