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► C’est quoi le problème ? Par Mélodie • L’Ehpad

Les Ehpad ont mauvaise presse ces dernières années, pourtant il en existe qui méritent le détour. Une année, vers la mi-janvier, une place se libère et j’y accompagne maman, à reculons. Elle ne comprend pas que c’est sa nouvelle et dernière maison. Quand je décore les murs de sa chambre avec les photos qui retracent sa vie ‒ je ne veux pas qu’elle se sente trop perdue ‒, elle me dit : « c’est pas la peine, je ne vais pas rester là ». Mon chagrin déboule soudain. Elle découvre une ambiance beckettienne : entourée d’échanges incongrus qui lui tiennent compagnie. Ce ne sont plus les beaux jours, plutôt une fin de partie en attendant la soupe. Marcelle et Louise se demandent : « qui nous a fourrées-là ? Nos enfants sûrement, mais on va pas pleurer sur notre sort, j’ai assez pleuré ! » Y’a celle ‒ ex-assistante sociale ‒ qui fait « heu, heu » sans arrêt et Marcelle qui trouve que : « même si elle fait pas exprès, c’est agaçant et ça devient vraiment emmerdant ». Alors Mélanie regarde l’assemblée et lance abrupte : « Quand est-ce qu’on meurt ? Qu’est-ce que je fais là ? Mes parents doivent se demander ce que je fais là ». Et puis, il y a Louise qui a oublié le nom de son mari : « C’est le comble de la vieillesse d’avoir deux enfants et de ne pas savoir qui vous les a faits ! » me dit-elle, dépitée ! Et la danseuse ? Elle m’accueille avec de grands sourires, traverse la salle en petits pas légers et s’assoit sur mes genoux ! Les attitudes et les discours incohérents ne gênent pas maman ; perçoit-elle l’incohérence d’ailleurs ? Les murs sont ternes, le lino en fin de course, les lits médicalisés et l’équipe joyeuse, attentive et présente. Un jeune aide-soignant fait des jeux de mémoire avec des lettres et ma petite mère n’est pas la dernière à les remettre en ordre. Elle aussi a trouvé sa place en quelques mois. Côté adaptation, bravo ! Début mai, je la trouve toute belle. Les émotions ont déserté son esprit (du moins, elle ne les exprime plus), mais elle observe le monde qui l’entoure d’un œil vif. Quand je repars une fin d’après-midi, je la raccompagne dans sa chambre, elle me dit qu’elle ne veut pas rester là, et je sens mes larmes monter. Je cherche mes mots pour lui dire, sans la brusquer, qu’elle va rester là. Surprise par ma remarque, elle m’explique qu’elle veut simplement rejoindre les autres, ceux qui sont dans la grande salle pour ne pas être seule. J’éclate de rire, soulagée, car ma méprise parlait surtout de ma culpabilité à la laisser dans cet endroit anonyme. Deux ans plus tard, je revois son signe de la main un dimanche soir pour me dire «  au revoir ». Je ne l’ai pas revue. Un Ehpad est un lieu, un lieu de vie ‒ même si c’est le dernier pour la personne accueillie ‒, où il est essentiel de faire du lien entre les gens qui viennent d’horizons différents, qui ont eu une vie sociale, des amours, des passions, un job et des enfants qui ont le sentiment de les abandonner à un triste sort. Un jour ‒ pas si lointain ‒ ce sera notre tour. Étudier a été son dernier mot. La personne, à son chevet me l’a confié comme un présent. L’empathie, c’est exactement le mot qui colle à la peau de toutes les personnes qui ont accompagné ma regrettée maman.


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