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■ ACTU - Violences et travail social • Sortir du silence

Cinq professionnels, essentiellement assistants de service social, portent un nouveau collectif : Travail social de demain. A l’origine, ils veulent rendre hommage à leur collègue conseillère en économie sociale familiale, Audrey Adam, tuée le 12 mai dernier par une personne qu’elle accompagnait alors qu’elle lui rendait visite à domicile. « Nous avons été nombreux à être extrêmement touchés, chamboulés par cet assassinat parce que nous nous sommes tous dit que cela aurait pu être n’importe qui d’entre nous », explique Pauline*, membre du collectif. Le choc s’amplifie face au silence politique et médiatique qui entoure ce drame. « Un silence lourd et douloureux qui nous a fait beaucoup de mal », souligne Pierre*, son collègue du collectif. « Celui du policier dans le même moment a fait beaucoup de bruit médiatiquement et politiquement tandis que personne ne réagissait à celui d’Audrey Adam », poursuit Pauline.

Des témoignages de violence

Ces professionnels échangent sur les réseaux sociaux et décident de lancer une pétitionpour le soutien et la reconnaissance des travailleurs sociaux. Elle compte aujourd’hui plus de 44000 signatures et s’adresse au président de la République, aux ministres et députés en rappelant : « Nous sommes garants de la paix sociale, parfois au détriment de notre vie et souvent au détriment de notre sécurité ». Et demande de la reconnaissance et du soutien au nom d’Audrey Adam mais également « pour toutes celles et ceux qui sont morts dans l’exercice de leur fonction ». Sous la pétition, les commentaires témoignent de nombreuses violences vécues par les travailleurs sociaux.

#balancetontravailsocial

Le collectif lance alors le hashtag #balancetontravailsocial. Ils reçoivent de nombreux témoignages dont certains qu’ils publient sur leur page Facebook. « Nous voulons que ces violences ne soient pas perdues dans l’oubli et qu’elles soient entendues », explique Pauline qui se dit sidérée par les témoignages reçus et s’interroge pourquoi un tel silence sur ces vécus ?
« Nous sommes des métiers discrets, pense Pierre. Nous n’avons pas envie de mettre à mal nos publics, c’est aussi pour cela que nous prenons beaucoup de précautions dans les témoignages que nous mettons en ligne pour ne stigmatiser personne. Il est difficile de nous exprimer sur ce que nous vivons puisque nous sommes habitués à nous taire ». A leurs yeux, l’espace anonyme qu’ils ont ouvert permet à ces vécus de s’exprimer. « Beaucoup trop de travailleurs sociaux se sont tus, parfois parce que l’institution ne les a pas soutenus, parfois par peur de stigmatiser le public, parfois par peur de représailles », ajoute Pauline.

Rester neutre

Pourquoi ne se sont-ils pas appuyés sur des collectifs déjà existants, des organismes professionnels ou des syndicats ? « Nous voulions rester apolitiques et asyndicals », explique Pierre. « Ne pas être étiquetés », complète Pauline.
Rester neutre. Difficile sur un sujet aussi sensible que la violence dans le travail social. Joran Le Gall, président de l’association nationale des assistants de service social se félicite de cette prise de parole : « Il est très bien que ces métiers cessent d’être des activités du silence. Qui dit prise de parole dit aussi peut-être prise de conscience par les professionnels eux-mêmes, voire par d’autres de ces vécus ». Il redoute toutefois le virage possible vers des mesures sécuritaires, qui, à moyens constants, pourraient amener les professionnels a renoncer d’eux-mêmes à certaines pratiques comme, par exemple, les visites à domicile déjà mises à mal par une gestion budgétaire qui pousse à la rentabilité et non à la construction lente du lien. « Une visite à domicile, cela veut dire prendre le temps. Il est possible d’enchaîner trois entretiens dans une après-midi sans problème, voire plus même si on cherche à faire de l’abattage, mais il est impossible de prévoir plus de deux visites à domicile dans une après-midi », explique l’assistant de service social. Or si pour des raisons de sécurité la décision est prise, par exemple, que désormais les visites à domicile se feront à deux, au regard de la charge de travail actuelle des professionnels, la complexité de l’organisation de ces visites poussera les travailleurs sociaux à y renoncer.

Questions ouvertes

Comment alors répondre à cette problématique de la violence dans le travail social ? Le sujet est complexe et traverse depuis longtemps le métier. En 2006, sous la plume d’Anne Catal et Léo Grenel, Lien Social (n°780) écrivait : « En octobre 2004, les cahiers de doléances des États généraux du social avaient parlé de « malmenance » des travailleurs sociaux à partir d’un certain nombre de témoignages recueillis. Mais le best-seller de Valérie Pezet (avec Robert Villatte et Pierre Logeay), De l’usure à l’identité professionnelle, avait déjà consacré, plus de dix ans auparavant, en 1993, un chapitre illustré de témoignages à la question de la violence dans l’intervention sociale, décrite comme vécue au quotidien. Dans plusieurs des récits rapportés, deux caractéristiques tenant à l’organisation du travail étaient citées comme éléments renforçant cette violence : d’une part le refus d’une direction de tenir compte de la capacité d’appréciation des éducateurs, d’autre part l’impossibilité d’échanger dans l’équipe sur l’événement violent… ».
Ces questions restent aujourd’hui entières.

Marianne Langlet

* Les prénoms ont été changés, les membres du collectif veulent rester anonymes.