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■ ACTU - Pièces à conviction • Un documentaire choc et des annonces

Les professionnels de la protection de l’enfance s’usent en manifestations et alertes en tout genre. Sans résultat. Un nouveau documentaire à sensation en prime time à la télévision semble être plus à même de faire bouger les lignes. Le 27 janvier, Pièces à conviction, diffusait le deuxième volet d’une enquête sur la protection de l’enfance, intitulé « Les enfants placés : que fait la République ».

Le premier volet en 2019 révélait notamment des cas de maltraitances dans des foyers de la Gironde. La vague d’indignation avait conduit à la création d’un secrétariat d’Etat à la protection de l’enfance mené par Adrien Taquet. Ce dernier a choisi de faire des annonces politiques sur le plateau de France 3, lors du débat suivant le nouveau documentaire. Il dévoile la préparation d’un projet de loi interdisant le placement en hôtel, installant des normes et taux d’encadrement pour les structures d’accueil et un fichier des agréments pour les familles d’accueil. Enfin, il promet un parcours vers l’emploi ou une formation et une allocation de 500 euros par mois pour les jeunes majeurs.

Amortir le choc

Le documentaire pointe à nouveau les défaillances depuis longtemps dénoncées par les professionnels de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Il revient d’abord sur les lieux de son premier tournage, en Gironde. Pour ce deuxième volet, le département avait anticipé et convié les journalistes à une conférence de presse quelques heures avant la diffusion. Le président du conseil départemental, Jean-Luc Gleyse, a reconnu que le documentaire lui avait permis de « constater des choses qui étaient de l’ordre de l’insupportable pour les enfants ». Pour lui, les mesures décidées alors comme la mise en place d’un conseil des jeunes de la protection de l’enfance et l’ouverture de 700 nouvelles places d’accueil avaient été accélérées par cette émission. « Il y a eu un effet de choc », souligne-t-il.

Est-ce que le nouveau volet qui pointe notamment l’utilisation des hôtels pour placer les enfants par le plus riche département de France, les Hauts-de-Seine aura le même effet ? Dans ce département, 600 enfants vivent à l’hôtel. Au total, en France, selon le tout récent rapport de l’inspection générale des affaires sociales sur ce sujet, entre 7500 et 10 000 enfants seraient placés à l’hôtel ; 95% sont des mineurs non accompagnés. Si Adrien Taquet annonce l’interdiction de l’utilisation de ces hôtels, il ne dit rien sur les moyens déployés pour créer les 10 000 places manquantes. Une explication donnée par son secrétariat à l’agence AFP précise toutefois qu’il pourrait y avoir des exceptions à cette interdiction, notamment pour les mineurs non-accompagnés pendant le temps de l’évaluation de leur minorité…

Professionnels invisibles

Quelques heures avant la diffusion du documentaire, le groupement national des établissements publics sociaux et médico-sociaux (Gepso) faisait à son tour part, via une tribune, de ses inquiétudes sur les effets de ces émissions, regrettant que le premier volet ait fait porter toute la responsabilité des défaillances sur les foyers de l’enfance. Il espérait qu’ils ne soient pas cette fois ci « les responsables de tous les maux pour apporter une vision d’ensemble de tout un système où les intérêts institutionnels se trouvent encore trop souvent placés avant l’intérêt supérieur de l’enfant et de la réponse à ses besoins fondamentaux ». Il soulignait que le « risque est grand de céder au sensationnalisme, aux excès de ce qu’il est convenu d’appeler l’information compassionnelle, en montrant uniquement des plaies et des souffrances ». Pour Jeanne Cornaille du Gepso : « Insister sur les dysfonctionnements ne suffira pas à faire évoluer le système. Il semble pour nous important de montrer aussi tout le reste, l’engagement des professionnels, la prise en charge complexe à mettre en œuvre pour répondre à ce public très fragile. Toute cette complexité, ce travail d’accompagnement mené par les professionnels n’est pas mis en avant ».

Elle reconnaît que contrairement au premier volet, la camera se penche un peu plus sur le travail des juges des enfants, des professionnels de la protection de l’enfance et de leurs missions empêchées. Pas assez, selon Hélène*, une ancienne professionnelle qui a quitté l’aide sociale à l’enfance. Le documentaire, selon elle, « nie la place des référents ASE, à aucun moment on parle du travail qu’ils devraient faire et qu’ils ne peuvent pas faire, pourquoi ils ne peuvent pas le faire, pourquoi la situation est si dégradée, tout cela est nié ». Elle admet toutefois qu’il « met en lumière les difficultés que nous connaissons et si cela peut faire bouger les choses, c’est déjà cela ». « C’est un mal pour un bien, rebondit Jeanne Cornaille, qui a le mérite de mettre en lumière un sujet habituellement invisible ». La voix de Lyes Louffok, ancien enfant placé devenu éducateur spécialisé présent dans le documentaire et le débat, permet également d’entendre la voix, longtemps occultée, des premiers concernés.

* Le prénom a été changé pour préserver son anonymat.