N° 777 | Le 8 décembre 2005 | Philippe Gaberan | Critiques de livres (accès libre)

L’apartheid scolaire. Enquête sur la ségrégation ethnique dans les collèges

G. Felouzis, F.Liot & J. Perroton


éd. le Seuil, 2005 (235 p. ; 19 €) | Commander ce livre

Thème : École

C’est un excellent ouvrage que donnent à lire Georges Felouzis, Françoise Liot et Joëlle Perroton, mais qui, au risque de décevoir, vaut plus pour sa méthodologie de recherche que pour la qualité des préconisations énoncées dans la conclusion. En effet, les auteurs, trois sociologues rattachés aux universités de Bordeaux et tous trois chercheurs au Laboratoire d’analyse des problèmes sociaux et de l’action collective (Lapsac) ont décidé de s’attaquer à « un sujet trop tabou en France pour être abordé de front », celui de la ségrégation ethnique dans les collèges.

Un tel sujet demeure tabou parce qu’il existe un écart trop grand entre « la conception “officielle” de l’école et la réalité vécue par les acteurs ». Toucher à l’image de l’école reviendrait donc « à discréditer l’ensemble d’un système qui est pourtant encore, et à plus d’un titre, un puissant facteur d’intégration » (p.13). Pourtant, surmontant tant bien que mal les difficultés liées à ce type d’enquête, les auteurs parviennent à démontrer que « la ségrégation au collège… produit des établissements “ghettos”, où la “norme” est de vivre dans des conditions défavorables et d’être en échec scolaire » (p.47). Ils mettent en évidence un phénomène de spirale qui fait de la relégation sociale ou géographique une aspiration vers la ségrégation et le renfermement dans des zones d’exclusion. Ce mouvement d’entraînement vers la dislocation ou le chaos est alors accentué par des mécanismes « d’ethnicisation de la violence ».

À tort ou à raison, ce sont les « Noirs » ou les « Arabes » qui sont immanquablement désignés comme fauteurs de trouble ou acteurs de violence, créant ainsi un « sentiment d’insécurité chez les Blancs » et « la revendication d’une identité fière et conquérante chez les enfants d’origine maghrébine ». De sorte que, concluent les auteurs, « c’est bien la ségrégation ethnique qui crée l’ethnicité et non l’inverse » (p.92). Dit autrement, ce sont bien la discrimination et le rejet qui engendrent le racisme et ses violences, et non l’inverse. « Que faire ? » écrivent alors les auteurs en titre à leur conclusion. Cette interrogation signe à elle seule l’aveu de leur impuissance, car la solution d’une lutte contre l’ethnicisation de l’école et des mécanismes d’apartheid passe immanquablement par la mise « en œuvre d’une réelle politique scolaire qui aurait pour objectif explicite de lutter contre la ségrégation » (p.229).

Il faudrait pour cela revoir la carte scolaire en réintroduisant pour les familles la possibilité du choix de l’établissement scolaire et pour l’administration la capacité de réguler ces choix. C’est donc à une sorte de « liberté surveillée » qu’en appellent les auteurs sur le modèle de la carte médicale et les nouvelles règles organisant en France le recours au médecin traitant.


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