N° 720 | Le 9 septembre 2004 | Patrick Méheust | Critiques de livres (accès libre)

Les naufragés de l’intelligence

Nicole Diederich


éd. La Découverte, 2004 (200 p. ; 16 €) | Commander ce livre

Thème : Mental

Quels peuvent-être les effets à long terme d’une prise en charge par les dispositifs réservés à l’enfance handicapée (ex enfance inadaptée) ? C’est ce que tente de saisir cet ouvrage qui fait l’objet d’une réédition actualisée presque 15 ans après sa sortie. Le passage en institution spécialisée, lieu lourdement chargé de signification négative, engendre une stigmatisation quasi indélébile. C’est là, sans doute, la constatation la plus alarmante de l’enquête approfondie menée par l’auteur.

Alors que la vocation de ces établissements est de travailler à une réinsertion, en réalité, un enfant présentant quelques troubles ou retards d’apprentissage se verra accoler l’étiquette de « handicapé mental » dès lors qu’il aura eu, à un moment ou à un autre de son existence, la « malchance » de fréquenter un établissement de ce type. Aussi, comme le souligne Nicole Diederich, « le placement dans un lieu significatif peut suffire à lui seul pour transformer une déficience en pathologie ». Pourtant, loin s’en faut, tous les enfants orientés vers les IME ne sont pas atteints de déficits mentaux graves. Ceux dont les troubles invalidants nécessitent une prise en charge lourde et des soins constants, constituent même une minorité. La plupart de ces enfants ont plutôt comme caractéristique commune des difficultés d’apprentissage parfois liées à des déficiences décelées tardivement (comme la surdité).

Cependant, fait notable, une majorité d’entre eux sont issus de milieux sociaux défavorisés et ont souvent connu des déracinements successifs à travers des placements en famille d’accueil plus ou moins judicieux. Mais, l’effet puissamment stigmatisant du placement en institution engendre une image de « handicapé mental » dont il sera bien difficile de s’abstraire. C’est ce que démontrent la plupart des parcours de vie décrits dans le livre. La volonté farouche de s’inscrire dans la « normalité » se heurtera sans cesse au diagnostic initial, métamorphosé sous l’effet des représentations communes en pronostic de retour inéluctable aux dispositifs d’assistance.

Terrible fatalité en vérité, d’autant que la situation semble se dégrader au fil des années. Le taux de sortie vers le milieu ordinaire évalué à 10 % dans les années 1970, ne serait plus aujourd’hui que de l’ordre de 1 % ! Il est grand temps — et c’est là une question qui dépasse le seul thème du handicap — que la société dans son ensemble apprenne à respecter les différences et s’évertue à favoriser de manière opportune la contribution sociale de ceux qui s’éloignent quelque peu de la « norme ». L’effort d’adaptation ne doit pas être toujours à sens unique…


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