N° 878 | Le 27 mars 2008 | Philippe Gaberan | Critiques de livres (accès libre)

Bienvenue à l’hôpital psychiatrique

Philippe Clément


éd. Les empêcheurs de penser en rond, 2007 (190 p. ; 15 €) | Commander ce livre

Thème : Psychiatrie

Voilà un livre à lire au titre radicalement ironique qui fait froid dans le dos et mal au cœur pour quiconque est concerné par la folie. Philippe Clément est infirmier psychiatrique et sans nommer l’établissement dans lequel il travaille, il fait le récit de son quotidien professionnel. Mais il le fait sans colère et sans exagération, presque avec une infinie douceur. Son récit est comme une confidence murmurée à l’automne d’une longue allée d’arbres centenaires comme en contiennent souvent les parcs des vieux asiles psychiatriques. De retour d’un « renfort », intervention musclée nécessitant le recours à plusieurs soignants parfois de services différents, Philippe Clément raconte : « Comme souvent en psychiatrie, on est là aux limites floues du soin et de la sanction, comme la folie du type est aux limites, floues également, de la souffrance et de la faute. Ce malade nous a occupé presque une heure durant et il doit, d’une certaine façon, maintenant en payer le prix. Aussi, il n’obtiendra rien. Les soignants ne vont rien céder. J’ai la conviction que l’enjeu principal est ici un enjeu de pouvoir, de domination et qu’il n’est plus vraiment question de soin. » (p.37).

Ce passage illustre bien cette forme de résignation révoltée qui anime son auteur. Lequel, au bout du compte des presque deux cents pages écrites comme un roman, ne donne rien de plus à voir que ce que quiconque pénétrant dans l’enceinte de l’hôpital psychiatrique peut voir ; ainsi, pour une famille, savoir l’un de ses proches en ses lieux est un déchirement entre confiance et abandon. Pour s’exercer, la violence n’a pas besoin de recourir à l’excès. Elle n’a pas besoin d’être dans l’intention non plus. Le mal ici commis en ces espaces de soin est tout bonnement le prix payé à l’impuissance. Et là où sans doute l’ouvrage fait mal à l’homme moderne vient de ce que celui-ci, confiant dans les progrès de la technique et de la médecine, voudrait sans doute se laisser aller au doux rêve d’un monde débarrassé de tout excès lié à la souffrance. « Deux tours dans un sens et je franchis la porte ; deux tours dans l’autre sens et me voilà dans le service François Tosquelles. Je ne suis pas certain que ledit Tosquelles apprécierait qu’il faille franchir deux portes verrouillées pour parvenir jusqu’à lui. Mais bon ! » (p.144).

Il est bien là l’insupportable de ce livre qui, la dernière page tournée, donne à penser que rien ne se serait passé entre le grand renfermement décrit par Michel Foucault, et celui de la psychiatrie institutionnelle née dans la résistance et les soubresauts glorieux de la révolte culturelle ayant trouvé son apogée dans le mois de mai de l’année 68. « De qui se moque-t-on ? » C’est le titre du dernier chapitre du livre ; « en guise de conclusion », précise l’auteur. Et pour le lecteur les dernières lignes qui font déborder l’ouvrage.


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