N° 865 | Le 13 décembre 2007 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

L’empire du traumatisme. Enquête sur la condition de victime

Didier Fassin & Richard Rechtman


éd. Flammarion, 2007 (453 p. ; 24 €) | Commander ce livre

Thème : Violence

Il n’est pas d’événements catastrophiques majeurs sans que ne soient dépêchées sur place des équipes de psys. Cette prise en compte des victimes, pour légitime qu’elle soit, n’a pourtant rien de naturel. La reconnaissance du traumatisme psychique est tout à fait récente. Son identification a tout d’abord fait l’objet d’une incrimination du sujet.

Ce n’est pas tant l’événement qui était ciblé que la fragilité de la personne qui, du fait même de sa personnalité, de ses faiblesses et de ses conflits internes n’avait pas su y réagir, comme d’autres avaient réussi à le faire. La médecine inventa ainsi la notion de sinistrose : les ouvriers victimes d’accident de travail et qui pouvaient depuis 1898 prétendre à une indemnisation, entretenaient leurs symptômes pour l’obtenir. La meilleure façon de guérir la névrose traumatique, préconisait même un praticien, était de refuser toute compensation. Ce déni se retrouvera pendant la Première Guerre mondiale, la pratique médicale sur le front étant tournée vers la détection des lâches qui refusaient de combattre : « Le simulateur était au pire un être fourbe ou calculateur, au mieux un être vulnérable se laissant passivement abuser par sa propre faiblesse et sa propre complaisance à l’égard d’une hypothétique souffrance » (p.72).

Dans les années qui suivront, la même défiance servira à refuser les indemnisations à ceux qui seront jugés faibles de caractère ou présentant un défaut de leur sens patriotique. En amont, l’histoire personnelle du sujet, en aval son désir de compensation délégitiment alors totalement la victime. Il faudra attendre la sortie des camps de concentration nazis pour que tombe cette argumentation, alors difficilement applicable, et qu’enfin on identifie le traumatisme comme le produit d’hommes ordinaires placés dans des circonstances extraordinaires. Le combat des féministes pour la reconnaissance de la violence sexuelle et les effets délétères de la guerre du Vietnam contribueront à l’émergence en 1980 d’une nouvelle catégorie nosographique venant remplacer le concept de névrose traumatique : l’état se stress post-traumatique. Il n’est plus alors nécessaire d’investiguer l’individu et de lui démontrer que ce qu’il vit est le produit de son histoire personnelle et singulière. L’événement est seul responsable de la réponse pathologique, elle-même réaction normale à une situation anormale.

Parallèlement à cette évolution médicale, tout un mouvement social va se déployer qui revendiquera de substituer la dénonciation à la compassion et l’indemnisation collective à la réparation individuelle. En l’espace de deux décennies, sont apparues tant les cellules psychologiques d’intervention d’urgence que la psychiatrie humanitaire. Mais la notion de traumatisme n’a rien d’universelle. Elle constitue surtout une catégorie morale qui mesure le degré de responsabilité d’une société à l’égard des malheurs du monde.


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