N° 822 | Le 21 décembre 2006 | Philippe Gaberan | Critiques de livres (accès libre)

L’injustice sociale. L’action publique en question

Véronique Guienne


éd. érès, 2006 (188 p. ; 18 €) | Commander ce livre

Thème : Sociologie

C’est une sonorité un peu particulière qui retentit à la lecture de cet ouvrage de Véronique Guienne, professeur de sociologie à l’université de Nantes et chercheuse au centre nantais de sociologie. En effet, le style adopté au fil des pages n’est ni celui d’un discours militant, bien que le livre s’adresse en épitaphe « à cette jeune génération d’hommes et de femmes, aspirant à une société non seulement plus vivable, mais aussi plus vivante », ni celui d’un pur produit universitaire. En fait, à mi-chemin entre la parole engagée et le propos scientifique, c’est une thèse osée que défend l’auteur : seule une « autre fonction publique » peut venir mettre fin au règne généralisé de « l’insécurité sociale ».

Dès lors, le livre tranche avec une dizaine d’autres publiés sur ce thème de l’analyse du rôle de l’État, parce qu’il s’attaque de façon lucide et objective aux maux de la fonction publique dans l’objectif, non pas d’en faire un mal français qui plomberait l’avenir de cette nation, mais bien au contraire une force capable de la conduire vers demain. Car, comme le rappelle Véronique Guienne, ce qui se joue dans la préservation des droits sociaux garantis par la puissance publique « n’est pas une raison humanitaire au sens de l’aide envers les plus pauvres, mais ce que Hannah Arendt définissait comme la responsabilité ontologique, celle qui est engagée dans le rapport à l’humanité (Arendt, 1989) » (p.115).

La clef de voûte de l’ouvrage est là : ce qui est dénoncé comme étant « le mal français » est en réalité « le bien de l’humanité » ! Cette thèse étant posée, l’auteur s’appuie sur Michel Foucault, Cornélius Castoriadis et quelques autres pour mettre à jour les raisons qui animent les adversaires d’un État fort et d’une fonction publique généreuse ; celles-ci n’ont rien à voir avec des préoccupations économiques ou politiques au sens strict du terme, mais poursuivent un objectif caché, au demeurant anthropologique qui est la séparation du « pur » et de « l’impur » (pp.24 et suiv.).

De fait, qu’il soit obtenu par un karcher ou par l’enrôlement des petits délinquants sous les drapeaux, « le nettoyage de la rue de ses indésirables », que l’auteur évoque en sa dernière page, exprime de manière radicale le peu de considération développée par les politiciens de droite comme de gauche pour ces valeurs aussi fondamentales que sont la justice et la liberté. Celles-ci ne comptent plus lorsque l’ordre revient en leitmotiv comme étant le seul moteur du vivre ensemble… un ordre qui, de surcroît repose sur des principes hygiénistes.

La thèse est crédible et rend très forte la première partie de l’ouvrage ; la seconde, quant à elle, se perd un peu dans les préconisations. Mais l’ensemble reste de très belle facture.


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