N° 783 | Le 2 février 2006 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

La revanche scolaire des élèves relégués

Bertrand Bergier & Ginette Francequin


éd. érès, 2005, (288 p. ; 23 €) | Commander ce livre

Thème : École

Certes, les élèves issus de l’enseignement professionnel ne sont que 0,3 % à accéder au troisième cycle de l’enseignement supérieur. Pour autant, le parcours atypique de cette poignée de jeunes qui ont connu soit une relégation dans un circuit court, soit de multiples redoublements et qui, pourtant, atteignent les sommets du système scolaire est intéressant à étudier, en ce qu’il peut être porteur d’espoir. C’est ce que nous proposent les auteurs dans un ouvrage passionnant réalisé à partir de l’interview de 111 personnes ayant vécu un tel itinéraire. « Les enfants « bien nés’’ sont bien mieux équipés culturellement, économiquement, socialement pour faire face aux aléas scolaires, anticiper les obstacles et investir sur le long terme » (p.23) nous expliquent-ils d’abord.

Qu’est-ce qui explique alors que les déterminants sociaux ne soient pas devenus des déterminismes irrévocables ? D’abord, parce qu’il existe plus qu’autrefois des passerelles qui permettent malgré tout une ascension scolaire. Les causes plus individuelles sont, quant à elles, multiples et ne semblent pas confirmer l’hypothèse d’un quelconque intérêt soudain pour les matières scolaires ou d’une relation privilégiée à un enseignant. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce redressement spectaculaire. D’abord, l’obtention d’une bonne note, à un moment donné, qui vient valoriser l’estime de soi et faire prendre conscience de ses capacités.

Un choc culturel porteur ensuite : changement d’établissement ou de lieu de résidence familial qui amène à fréquenter un milieu plus porteur et plus stimulant. L’épreuve du déclassement encore et la conviction que l’on n’a rien à faire dans le cycle court où l’on a été orienté. Une volonté de revanche parfois sur le mépris et l’humiliation dont on a l’impression d’avoir été victime. Le poids, aussi, des ambitions et des frustrations familiales, l’héritier étant alors inscrit dans une attente forte qui pré-construit son parcours. Un contexte extérieur, souvent, marqué par le chômage et la difficulté d’insertion qui ne peut que donner envie de s’en sortir.

Mais ces possibilités d’échapper au destin social qui semble s’imposer selon l’origine socio-économique (rappelons que les fils d’ouvriers ne sont que 10,6 % à l’université alors que leurs parents représentent 25,6 % de la population) restent une exception qui ne remet pas en cause le fondement d’une école qui intègre dès l’origine la problématique de la ségrégation sociale. Et ce, dès lors qu’elle relègue au bas de l’échelle des valeurs nobles les utilités immédiates, l’ordre légitime d’acquisition des connaissances continuant à être fondé sur la subordination de l’apprentissage pratique et spécialisé au savoir théorique. Ce qui amène une hiérarchisation des filières qui réserve les trajectoires longues à l’enseignement général et dans une moindre mesure technologique et les trajectoires courtes à tout ce qui concerne le professionnel.


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