N° 777 | Le 8 décembre 2005 | Philippe Gaberan | Critiques de livres (accès libre)

Des sexualités initiatiques - La révolution sexuelle n’a pas eu lieu

Thierry Goguel d’Allondans


éd. Belin, 2005 (208 p. ; 19 €) | Commander ce livre

Thème : Sexualité

« La libération sexuelle, prônée dans les années 60, les avancées du féminisme, notamment en matière de contraception et d’avortement, les mouvements gays ont pu donner l’illusion, un temps, d’une marche en avant, d’une révolution sexuelle. Force est de constater aujourd’hui le retour d’un certain ordre moral dans un paysage obscurci par le spectre du sida » (p.18). Voilà, tout est dit ou presque dans cette phrase qui balaie quarante ans d’évolution des mœurs et mesure le peu de chemin parcouru par l’individu confronté à l’un des aspects les plus complexes de sa vie, la sexualité.

Plutôt que d’aller chercher dans les livres et leurs théories quelques vérités sur la sexualité, Thierry Goguel D’Allondans, chercheur associé à l’université Marc Bloch de Strasbourg et aussi éducateur spécialisé de métier, a mené une enquête originale sur la toute première fois où les personnes ont fait l’amour. Que l’acte ait été homosexuel ou hétérosexuel, qu’il ait été accompli au tout début de l’adolescence ou au contraire à une heure avancée de l’âge adulte, les témoignages empreints d’humanité montrent d’abord des êtres en proie à leurs solitudes, leurs doutes, leurs angoisses, leurs désirs ou leurs maladresses.

Rarement les toutes premières fois sont des souvenirs heureux et l’auteur tire de ce constat l’une des leçons fondamentales de cet ouvrage : ivres de rationalité, les sociétés occidentales contemporaines ont oublié « la force heuristique des rites de passages ».

Loin d’accuser la seule démission des adultes, cet ouvrage dénonce la mise au pli du symbolique et l’effondrement de la part de l’imaginaire dans la construction des liens sociaux. Toute la première partie du livre explore, sans aucun doute de façon ambitieuse mais trop rapide, un vaste éventail de cultures disparues ou encore présentes afin de montrer comment, jusqu’au seuil de la modernité, l’initiation à la sexualité figurait parmi l’une des activités centrales des sociétés humaines. Comment ne pas s’étonner alors qu’en quelques dizaines d’années, et alors que se proclame la libération sexuelle, la jeunesse ne connaisse plus du sexe que les images pornographiques où la chair étalée sur les écrans de pub ?

Désormais « chacun a à se débrouiller avec “ça” c’est-à-dire avec la sexualité et ses découvertes » (p.177). Là où, autrefois, la parole permettait « d’apprivoiser les usages culturels du corps avec moins d’ambiguïté, de culpabilité ou de névrose », le silence et la honte ouvrent désormais la voie à ces passages à l’acte violent que les médias illustrent à la une de leurs journaux sous le regard avide et complice du public. Dans cet ouvrage, l’auteur a pris le risque de s’attaquer de fort belle manière à un sujet difficile ; et tel un funambule, la raison en maints passages marche sur un fil. Le livre n’en gagne que plus de force et de respect.


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