N° 660 | Le 3 avril 2003 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

C’est la lutte finale etc.

Stanislas Tomkiewicz


éd. La Martinière 2003, (304 p. ; 18 €) | Commander ce livre

Thème : Droits de l’enfant

Il y a d’abord eu cette vie au service de l’enfance qui prend sa source dans le ghetto de Varsovie et que l’on retrouve dans « l’adolescence volée ». Et puis, il y a l’engagement politique qui fait l’objet de ce deuxième volet des mémoires de Stanislas Tomkiewicz. Cet ouvrage paraît à titre posthume. Décédé le 5 janvier 2003, l’auteur n’aura pu le terminer. Il nous reste néanmoins ces dernières pages marquées au coin de l’humour et surtout de la profonde modestie d’un personnage qui n’a jamais hésité à s’engager ? au risque de se tromper.

Il n’est pas si fréquent de commencer un récit en rappelant « le nombre de bévues, de bêtises, de fausses prévisions, d’incompréhensions diverses qui ont marqué [sa] vie politique » (p.13). Le jeune Stanislas passe d’abord par une crise de mysticisme pro-juif avant de provoquer Dieu en avalant sa première tranche de jambon. Constatant n’avoir pas été foudroyé sur place, il deviendra athée. Mais ce sera pour tomber dans une tout autre religion : le communisme. Comme beaucoup d’intellectuels après guerre, Stanislas Tomkiewicz y croit. Sauf peut-être que lui, ne le fait pas seulement à partir de ses convictions. Les épreuves du ghetto de Varsovie et son internement à Bergsen Belsen lui ont donné une violente envie d’y croire. Pourtant, il le sait : l’Union soviétique n’est pas ce paradis des travailleurs qu’on prétend, y règnent la misère et l’obscurantisme. Il avale néanmoins des couleuvres pendant des années : maintien des ministres communistes en 1947, au sein du gouvernement qui massacre les indépendantistes malgaches, procès truqués dans les pays de l’est, mais aussi au sein même du parti communiste français.

Dix fois, il eut envie de déchirer sa carte. Mais, « chaque fois qu’un crime venu d’Union soviétique [l’] ébranlait dans mes convictions, la providence apportait un crime de l’impérialisme américain, à [son] avis plus coûteux en sang des pauvres » (p.196). Refoulement, scotomisation, déni sont alors à l’ ?uvre : il lui faudra des années pour ne plus diviser l’humanité en blanc et en noir et admettre ce que Primo Levy comprit tout de suite : l’existence du gris. Il abandonnera le parti sans bruit, en ne prenant plus sa carte. Mais son engagement militant ne s’arrêtera pas là. On le retrouve aux côtés de Jacques Lacan dans un soutien actif aux militants du FNL algérien. Il participera à l’ouverture des dispensaires accueillant les 1 200 détenus libérés à l’indépendance. Il gardera longtemps contact avec l’un de ses patients brutalement et longuement torturé qui deviendra à son tour un policier algérien expert en mauvais traitements. Terrible mécanisme d’identification à l’agresseur. Il sera acteur en mai 1968, devenant même le soignant des katangais de la Sorbonne. Une vie bien remplie qui a pris fin au seuil d’un XXIe siècle qui lui aurait donné bien des occasions de s’engager encore.


Dans le même numéro