N° 961 | Le 18 février 2010 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

Suicide au travail : que faire ?

Christophe Dejours & Florence Bègue


éd. Puf, 2009 (130 p. ; 12 €) | Commander ce livre

Thème : Organisation

Comment peut-on comprendre l’augmentation récente du nombre de suicides sur le lieu même du travail ? L’analyse que nous proposent ici Christophe Dejours et Florence Bègue s’avère particulièrement fertile. Leur premier constat est banal : la souffrance du salarié n’est pas chose récente. Mais, longtemps, elle ne s’exprima pas sur le lieu d’activité où chacun avait à cœur de montrer publiquement son courage, sa force et son indestructibilité. L’éthos professionnel voulait qu’on n’étale pas ses difficultés aux yeux des autres. Quand elles émergeaient malgré tout, le groupe jouait un rôle de réconfort, de soutien et de protection : les conduites d’entraide et de solidarité des collègues venaient rassurer le salarié en dépression.

Si cela ne suffisait pas, la crise psychique disparaissait sous un symptôme médico-somatique. La survenue aujourd’hui de ces suicides sur le lieu de travail montre l’état de dégradation du tissu humain et social qui le constitue. Il y a d’abord la solitude et le chacun pour soi qui sont devenus les règles de fonctionnement, privant ainsi celui qui souffre de tout filet protecteur. Mais, contrairement à beaucoup d’interprétations réductrices, la fragilité individuelle des désespérés ne constitue pas un facteur explicatif majeur. Même si cela peut jouer, ce n’est pas une cause première. Il est en effet fréquent qu’au contraire, ce soit les plus qualifiés, les plus investis et les plus motivés dans leur fonction qui passent à l’acte suicidaire.

On a assisté, depuis une vingtaine d’années, à une profonde disqualification du travail sous la forme d’une remise en cause les valeurs du métier et de l’art du bien faire. Le management ne se préoccupant plus que du quantitatif et du respect des indicateurs de performance, il s’est attaqué en priorité au noyau des salariés les plus expérimentés et les plus qualifiés, ceux-là même qui pouvaient opposer le plus de résistance à la nouvelle doxa : remplacer le sens du travail par sa valeur monétaire. Si l’activité professionnelle se mesure à son utilité sociale, elle est aussi jaugée à son adéquation avec les règles de l’art. Le travail étant un puissant opérateur de construction et de stabilisation de l’identité qui, elle-même, constitue l’armature de la santé mentale, c’est bien la qualité de la professionnalité mise en œuvre qui permet de trouver un équilibre psychique.

Que faire, s’interroge le titre du livre ? Deux pistes d’action émergent. D’abord, reconsidérer le rapport au travail : faire confiance dans la pensée élaborative des salariés et privilégier la coopération, la confiance et la loyauté, en renonçant à la défiance et à la contrainte. Ensuite, recomposer le vivre ensemble, en retrouvant la voie des relations de convivialité et du savoir-vivre.


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