N° 862 | Le 22 novembre 2007 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

Pourquoi on nous a séparés ?

Christine Abels-Eber


éd. érès, 2006 (220 p. ; 23 €) | Commander ce livre

Thème : Protection de l’enfance

En donnant longuement la parole à deux mères d’enfants placés particulièrement aigries par leur vécu, le risque était d’objectiver leurs rancœurs contre les travailleurs sociaux. Christine Abels-Eber a su traiter avec intelligence et finesse la question de la séparation, en sachant éviter les généralisations hâtives. Elle rappelle que l’une des dérives de la protection de l’enfance est cette confusion entre maintien des liens avec la famille et maintien auprès de parents nocifs et dangereux. Elle évoque aussi l’action de professionnels porteurs d’une véritable éthique et de solides qualités tant relationnelles qu’humaines qui sont d’emblée dans la considération et le respect des familles qu’ils positionnent en tant que sujet et non pas objet de leur intervention. Elle donne encore la parole à un directeur qui témoigne avoir rencontré des enfants désireux de couper toute forme de relations avec leur milieu d’origine.

Toutes ces précautions prises, il reste une réalité brutale qu’on ne peut évacuer d’un revers de la main. Des parents qui ont demandé aide et soutien se sont vus mis en accusation et stigmatisés par des travailleurs sociaux qui les ont harcelés, jamais rassasiés dans leurs attentes et vérifiant les moindres coins et recoins de leur vie, allant bien au-delà de ce qu’eux-mêmes auraient pu supporter. Des parents se sont trouvés dans une spirale infernale, face à un tunnel dont ils ne voyaient pas le bout, tant les demandes formulées à leur égard pouvaient être parfois exigeantes et contradictoires. « Pour certaines familles qui ont connu un incident de parcours, aucune faiblesse ne semble autorisée, on cherche la faille, le point faible » (p.125). Des parents, au lieu d’être ressourcés par l’accompagnement proposé, se sont senties disqualifiés et jugés.

L’action éducative peut parfois aboutir non à l’émancipation de la personne, mais à son assujettissement. Il suffit pour cela de n’identifier que ses manques et ses déficiences. « On nous fait parfois tellement sentir qu’on est mauvais parent, qu’on le devient », témoigne Cathy, l’une de ces mamans. Certes, un enfant placé ne l’est que parce qu’il ne peut bénéficier dans son milieu d’origine de la bienveillance et de la sécurité qui lui garantissent épanouissement et équilibre. Mais lorsqu’il accède à son nouveau lieu de vie, il lui faut préserver deux places : celle où il arrive (qu’il va lui falloir gagner), mais aussi celle d’où il vient (qu’il ne veut pas perdre). C’est pourquoi, « évincer, oublier ou nier les parents, l’accompagnement de l’enfant, c’est risquer de passer à côté de ce qui le tient et le lie à ses origines » (p.154).

Le travail de l’aide sociale à l’enfance porte néanmoins ses fruits puisqu’une étude, datant de 1987, montre que si 95 % des enfants séparés ont des parents qui, eux-mêmes, ont été placés dans leur enfance, seuls 16 % d’entre eux ont vu leurs propres enfants devoir être à leur tour placés.


Dans le même numéro

Critiques de livres

Denise Bass & Marina Stéphanoff

Mélodrame et mélo-dit de la séparation