N° 834 | Le 29 mars 2007 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

Pourquoi l’interdit ? Regards psychologiques, culturels et interculturels

Odile Reveyrand-Coulon & Zohra Guerraoui


éd. érès, 2006 (238 p. ; 23 €) | Commander ce livre

Thème : Autorité

Les sociétés humaines ont toujours oscillé entre l’application et la levée des interdits. Là où les structures sociales traditionnelles sont tentées de les multiplier, l’accession à la démocratie devient synonyme de leur bannissement. Bien que l’on préfère le plus souvent leur substituer les notions de prescription, d’injonction ou de permis, le vivre ensemble s’est de tout temps édifié sur ces interdits formels ou implicites. C’est même la condition au renoncement et au dépassement des pulsions primaires. Les limites posées à l’enfant, parce qu’elles le contraignent à penser et notamment à penser l’autre, lui permettent de se construire dans la rencontre de l’altérité. Chaque culture apporte sa spécificité en ce qui concerne tant la façon dont ces interdits sont proférés que la nature des objets qu’ils désignent. Ils peuvent porter sur les relations sexuelles entre certains partenaires mais aussi sur la consommation de certains produits, la chasse de certains animaux, la prononciation de certains mots, l’accomplissement à certaines phases de l’existence de tel ou tel acte de la vie quotidienne…

Dans notre pays, le permis n’est ni codifié, ni limité : « Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas », affirme la Déclaration des droits de l’homme de 1789. Ce n’est ni le juge, ni la morale, ni le juste ou l’injuste qui fixent l’interdit et l’infraction, mais la loi. Tout autre sont les rapports entre individus organisés à travers des systèmes de rôle et de statut et dont le strict respect est parfois la forme unique de socialisation. Les méconnaître, les ignorer ou encore les transgresser sont alors source de désarroi, de malaise et de conflit. Le rapport à l’enfant en est une excellente illustration. Ainsi, dans de nombreuses nations africaines, l’enfant n’a pas droit à la parole : il doit écouter, observer et se montrer passif en présence des adultes. Il doit éviter tout face à face avec eux et ne jamais les questionner.

Au Congo, il est interdit de laisser pleurer un enfant la nuit car les esprits malfaisants pourraient alors s’emparer d’une intériorité que les pleurs ouvrent en grand. Sans oublier l’importance accordée à la procréation, mais pas à la personne même de l’enfant dont le traumatisme potentiel est peu concevable. En situation de migration, tout change : les formes éducatives coercitives soutenues dans les pays d’origine par l’ensemble des logiques sociales et groupales paraissent très vite arbitraires et abusives. Dans la société d’accueil, hiérarchie, distance et réserve sont battues en brèche par des idées d’égalité, d’abolition de la contrainte, de réduction des discriminations, d’expression publique et exhibée des sentiments. Dès lors, les parents se sentent démunis, déclassés, atteints dans leur narcissisme face à un système d’interdits et d’autorisations qu’ils ne comprennent pas.


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