N° 826 | Le 1er février 2007 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

Plaidoyer pour le mensonge

Laurent Lèguevaque


éd. Denoël, 2006 (133 p. ; 10 €) | Commander ce livre

Thème : Justice

Tout enfant vous le dira : dire la vérité, c’est bien, mentir, c’est mal. Pourtant, s’il est bien une institution où cette dichotomie ne s’applique pas, c’est celle de la justice. Pour exercer le métier de juge, il faut chérir le mensonge car le mensonge est une parole à entendre, préférable au silence. Il garantit un nouveau droit de l’homme : le droit à l’opacité. Personne ne souhaite vivre dans une maison de verre. Voilà des déclarations bien subversives. Son auteur n’est autre qu’un ancien juge d’instruction, Laurent Lèguevaque, qui nous propose ici un essai au vitriol.

Il commence par nous expliquer son état d’esprit quand il est entré dans la magistrature. Il était convaincu de se mettre au service d’une noble et vaste quête : « Je me croyais un héros, un chevalier blanc de la vérité. Infatué de mes fonctions, infatué de moi-même, au fond, comme bien des juges » (p.9). Après treize ans passés à tenter de traquer le mensonge, son verdict est sans appel : il est quasiment impossible de l’isoler par un signe objectif. Certains menteurs ont de forts accents de sincérité et peuvent paraître tout à fait assurés : ils veillent à maintenir les apparences de la vérité aux faits qu’ils inventent et à rendre logique leur enchaînement dans le temps et l’espace. Cette même crédibilité ne bénéficie pas forcément aux sincères.

Surtout quand ils s’empêtrent dans leurs déclarations, en arborant des airs de faux jetons. Ils disent tellement vrai qu’ils ne voient pas l’utilité de rendre leur récit cohérent et comptent sur le juge pour démêler l’écheveau de leurs déclarations. La victoire de la vérité passe par l’amour du mensonge. C’est une victoire de la persévérance, de l’écoute inlassable d’autrui, d’un intérêt fervent pour la logique d’autrui, sa pensée, ses tours et ses détours. Mais les juges se dispensent de plus en plus d’écouter les humains. Ils préfèrent s’appuyer sur les expertises psychologiques auxquelles ils se soumettent aveuglement. Psychiatrie, psychanalyse, psychologie se sont érigées en nouvelles déesses, en pilier d’une justice enfin rénovée. Toute la société fait mine de penser que les sciences humaines sont exactes. Alors qu’elles ont autant de fondements scientifiques que l’horoscope chinois !

Le juge doit instinctivement détester les convictions intangibles, les croyances aveugles. S’il doit apprendre à se méfier des suspects, il doit tout autant se garder des experts, des autorités et des faux témoins, douter des témoignages, mais également de la version policière, des assemblages de faits préconstruits, subodorer le déjà prêt, flairer le tout cuit. Passer aux aveux suppose une période de latence, une maturation, une phase d’observation. Mais le législateur vibrionnant pond à la chaîne des textes destinés à presser les juges d’aller vite, toujours plus vite. Laurent Lèguevaque a démissionné : parce que « les juges ne prêtent plus attention qu’à leur carrière et aux délais de traitement des procédures. Ils s’entourent d’experts et de certitude » (p.123).


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