N° 932 | Le 11 juin 2009 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

Passeurs d’humanité

Sous la direction de Loïc Adrien


éd. érès, 2008 (184 p. ; 23 €) | Commander ce livre

Thème : Histoire

Loïc Adrien est éducateur spécialisé et rédacteur en chef de la revue Zone entièrement ouverte dont quinze numéros sont en libre consultation sur la toile. Pour répondre à la crise d’autorité qui mine notre époque, il a sollicité une douzaine de personnes devenues des figures du champ social et leur a demandé d’évoquer les rencontres marquantes qui ont jalonné tant leur itinéraire personnel que professionnel. Défi sympathique relevé avec plus ou moins de bonheur.

Pour certains, c’est une figure familiale qui aura été déterminante : Jean-François Gomez et son père qui se sacrifia pour permettre à ses enfants d’advenir. Pour Bernard Montaclair, ce sont des pères spirituels comme Freinet, Oury ou Tosquelles. Thierry Goguel d’Allondans préfère se référer aux maîtres qui se sont succédé du CM1-CM2 à l’université, en passant par le couvent de Jésuites où il se rendait après la classe. Et de reconnaître que la réflexion d’une de ses enseignantes (« le téléphone n’est que le prolongement de la main. Le stylo est le prolongement de la pensée ») a sans doute joué un rôle dans sa phobie actuelle des téléphones portables.

André Prodhomme nous livre ce qu’il appelle lui-même un bric-à-brac de références, accumulant Fritz Lang, Count Basie Guillaume Appolinaire, Fernand Deligny, Winicott… sans oublier Manu, cet adulte autiste qui ne parlait pas mais qui le guettait chaque jour et qu’il apprit à guetter durant les quatorze années que dura sa fonction de directeur. Jean-Marie Vauchez a lui aussi choisi de nous parler de sa rencontre avec Jonathan, psychotique de son état, qui reste toute la journée l’oreille collée sur la tuyauterie du chauffage, au bas d’un escalier, à l’écoute de la pulsion de la maison qui l’accueille. Entre références théoriques et commentaires ironiques, le métier d’éducateur est parfaitement défini : « Mon boulot, c’est de servir d’interface entre lui et le monde. C’est de rendre compréhensible aux autres ce langage étrange » (p.39).

Joseph Rouzel se remémore les deux rencontres essentielles de sa jeunesse. Le père supérieur de son école, tout d’abord, lui affirmant qu’il n’avait pas la vocation pour la prêtrise et qu’il devait s’orienter vers une autre voie. Ce procureur du roi ensuite, qui vint le rencontrer chaque semaine alors que, mineur emprisonné en Belgique pendant deux mois, la justice devait vérifier que tout allait bien. Découvrant que ce jeune Français aimait la poésie, il l’entretint de cette matière à chacune de ses visites, superbe leçon sur « l’essence de l’accompagnement éducatif » (p.68).

Mais on ne saurait terminer ce recueil en omettant Philippe Gaberan qui révèle sa rencontre avec… André Jonis, fondateur et premier directeur de Lien Social, qui lui permit de courber son amour-propre sous les conseils afin de « pouvoir se dresser dans la lumière sans craindre le ridicule » (p.106).


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