N° 1196 | Le 24 novembre 2016 | Jean Cartry | Critiques de livres (accès libre)

Oser le verbe aimer en éducation spécialisée

Philippe Gaberan


éd. érès, 2016, (296 p. – 23 €) | Commander ce livre

Thème : Education

Que dire encore de cet ouvrage si bien construit, solide et généreux, après la préface exhaustive de Michel Lemay qui l’introduit ?
Il s’agit, selon Lemay, « de permettre à l’enfant qui ne croyait plus en lui de retrouver un sens à sa présence au monde et de reprendre son cheminement créatif. (…) le problème d’un tel métier est d’encaisser bien des coups durs sans voir les résultats qui apparaissent beaucoup plus tardivement. »

Ainsi, de la relation éducative en éducation spécialisée tout est dit, mais ça, c’est l’essentiel, c’est le texte. Le contexte risque de noyer cet essentiel que Philippe Gaberan appelle l’humain, c’est-à-dire la substance de chaque être, singulière, originale, unique et cachée sous les symptômes. En effet, l’exercice de l’impossible profession d’éducateur spécialisé est-il encore possible dans un monde qui considère l’imprévisibilité comme le défaut absolu ? Fini ce que d’aucuns ont appelé noblement le bricolage éducatif, ses créations aléatoires, ses improvisations parfois dérisoires, parfois géniales ? Serions-nous englués dans ce que Philippe Gaberan nomme une vision archaïque du monde et une perception dépassée de nos métiers, au point qu’on nous impose « de nouveaux professionnels provenant d’autres secteurs (de l’industrie, de la banque) amenant avec eux une autre culture ; moins ces derniers étaient des praticiens (de l’éducation spécialisée) et plus leur expertise se voyait confirmée. »
Notre collègue interroge : faut-il encore des élus politiques, des médecins ou des éducateurs spécialisés ?

Variations sur le mot amour

À contre-courant du tsunami de l’idéologie managériale, l’auteur s’attache à évoquer longuement la relation éducative, ses attentes anticipatrices, la complexité des affects qu’elle génère, ses paradoxes, ses contradictions, ses engagements, ses souffrances. En un mot, il évoque le sens à être au monde qu’elle essaie de restituer au gamin, dans l’acception vivante que Deligny attachait à ce mot. Certes, Philippe  Gaberan recourt à la parole de romanciers ou de philosophes pour enraciner la relation éducative et de soin, mais il n’est jamais si bon que lorsqu’il tente des variations sur le mot amour pour l’unique de chaque enfant, cet amour « interdit » au nom de l’idéologie auto-défensive de la distance dans l’éducation spécialisée. Il écrit : « Il faut entendre le verbe aimer comme étant la marque du surgissement, dans la relation éducative, d’un affect auquel deux personnes consentent librement et de manière réciproque afin de combiner ensemble deux trajectoires de vie dont l’une est à son commencement. »

Philippe, en signe de gratitude pour cet amour que tu restitues à la relation éducative, je te transmets cette parole d’Emmanuel Lévinas (entretien avec F. Poirier, p. 110, Actes Sud- Babel, 1996) : « …c’est parce qu’il y a la possibilité de penser quelqu’un comme unique qu’il y a amour. »


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